Prestige N° 113, Octobre 2002
Ses pierres de basalte s’imbriquent en un témoignage saisissant de l’histoire de plusieurs civilisations. Citée sur les tablettes de Tell Amarna, correspondance entre les pharaons et les rois phéniciens. Seconde capitale des Nabatéens après Petra, siège du gouverneur romain du temps de Trajan, profondément arabe… Seule cité gouvernée par un patriarche chrétien, ville-phare de l’Islam, Bosra, «la citadelle», un nom qui lui va bien, car ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle consent à révéler ses richesses. Et le sable des siècles glisse peu à peu du front de cette ville secrète, mystique, longtemps oubliée.
L’amphithéâtre romain le mieux préservé du monde, à 140 km de Damas et 850 mètres d’altitude sur le plateau du Hauran.
© Prestige / Bassam Lahoud
L’amphithéâtre date de l’âge d’or de la cité du temps de l’empereur Trajan, Bosra s’appelle alors Nova Trajana. Cet amphithéâtre du IIe siècle à l’acoustique parfaite est le mieux préservé du monde romain. Aménagé au-dessus d’arcades, technique architecturale qui autorisait la construction de surélévations sur une surface plane, l’amphi pouvait accueillir15.000 spectateurs, en 1er, 2e et 3e classes, suivant le statut social.
© Prestige / Bassam Lahoud
La scène a 45 mètres de long, la façade à revêtement de marbre était rehaussée de statues placées dans des niches éclairées de nuit. Une galerie faisait fonction de coulisses. En bas de la scène, un petit hémicycle était réservé à l’orchestre ou aux athlètes.Le dispositif de sécurité de ce magnifique amphithéâtre devrait inspirer nos architectes contemporains: l’aménagement de plusieurs issues permettait d’évacuer le lieu, malgré ses dimensions considérables et le nombre de places et de gradins, en tout juste quinze minutes. L’espace était couvert de tentures en soie imprimée qui protégeaient du soleil en été et de la pluie l’hiver. Comble du raffinement: l’on faisait bouillir de l’eau parfumée, les vapeurs dégagées retombaient en fines gouttelettes sur la foule ravie. Les Nabatéens ont aussi fait honneur à l’hémicycle. Tous les quatre ans, ils y célébraient leurs fêtes et présentaient des offrandes au dieu Dusarès. Et si cet amphithéâtre a été bien préservé c’est grâce aux fortifications qui l’entouraient dont le maître d’œuvre n’est autre que Saladdin, mais aussi le sable du temps qui recouvrit les gradins… Ce qui est surprenant à Bosra c’est que la cité historique s’intègre au quotidien de la ville, accueillante et bien loin d’être figée dans le passé. Les enfants vous abordent en souriant, vous parlent en plusieurs langues: des bribes d’explications qu’ils ont glanées ça et là en suivant les guides…
Toute la ville de Bosra est construite avec du basalte, une pierre volcanique extrêmement résistante
© Prestige / Bassam Lahoud
Une vue de la ville où se superposent et cohabitent plusieurs civilisations: nabatéenne, romaine, byzantine, islamique… L’on aperçoit à gauche le minaret à base carrée de la mosquée Al Omari, le marché de la mélasse: Khan el Debs, les colonnades romaines… Aménagée lors de sa fondation suivant le plan urbaniste romain, la ville s’organise autour des thermes, nymphées et services publics.Cette citadelle de 17.000 mètres carrés, les Croisés rêvaient de s’en emparer et dans ce but, levèrent leurs armées, mais malgré leurs assauts répétés, ils ne purent franchir ses murs. Cette citadelle était à l’époque protégée par une douve, fossé rempli d’eau qui empêchait le passage des chevaux, pour accéder à la forteresse, un portail situé à droite en biais et non au centre. Les soldats ennemis tentant de défoncer la porte à l’aide d’un «bélier» n’avaient pas pu faire céder l’entrée faute d’espace et d’élan… Les archers ayyoubides se postaient aux meurtrières, prêts à tirer leurs flèches sur les assaillants.
Le peuple nabatéen installé en Jordanie jouissait d’une grande influence politique, militaire et économique. A partir du premier siècle avant Jésus-Christ, les Nabatéens étendirent leur pouvoir vers le sud de la Syrie et poussèrent jusqu’à Damas. C’est surtout à l’époque de Aretas III que Bosra gagna en importance et devint la deuxième capitale nabatéenne avec Petra. Le Sud resta sous domination nabatéenne même après la conquête romaine, jusqu’à l’arrivée de Trajan vers le début du IIe siècle. L’art nabatéen se distingue par sa sobriété: des pierres plates et lisses, de rares motifs, des colonnes engagées dans la façade et des chapiteaux à cornes qui se démarquent des colonnes très décorées de l’époque gréco-romaine. Se rendre à Bosra, c’est faire connaissance avec une ville hors des sentiers battus du tourisme et qui a payé son tribut à l’histoire. Sur le plateau du Hauran, à 140km au sud de Damas, renouer avec le carrefour des caravanes, une ville qui secoue de son manteau de basalte le sable de l’oubli.
Le sanctuaire Kalybé évoque la légende tragique d’une princesse qui ne put échapper à la fatalité.
© Prestige / Bassam Lahoud
Les vestiges du Kalybé et devant le marché, Khan el Debs, au début du XXe siècle, on y vendait encore la mélasse. Le khan est au cœur de la ville, c’est la place où l’on venait faire commerce de denrées, de tissus, de tapis. Le soir venu, on rangeait le tout dans des niches et l’on fermait les portes jusqu’au lendemain.La tradition de Kalybé, au cœur de Bosra, veut qu’un roi ait construit ce «palais» pour y abriter sa fille adorée et la préserver de tout danger. On lui faisait parvenir la nourriture au moyen d’un panier. Un jour, on lui fit porter une grappe de raisin; un scorpion s’y était glissé et piqua la belle jeune fille qui y succomba. Ce concept de fatalité et de mort inéluctable se retrouve dans la culture antique syro-grecque.
La cathédrale de Bosra inspirera la basilique d’Aya Sofia, les églises romanes en Occident et l’art islamique
La cathédrale de Bosra, quasi oubliée du reste du monde a eu une importance cruciale sur l’architecture des lieux de culte: lorsque Justinien fit construire Sainte Sophie à Constantinople, il exigea des architectes de prendre comme modèle la cathédrale de Bosra qui a aussi énormément influencé l’art islamique. Elle fut construite en 512 à la gloire des Saints Serge, Bacchos, Leontos, les plus importants et populaires après Saint Georges. Martyrs syriens, tous trois ont vécu à l’époque romaine. Reniant le culte du dieu Jupiter, ils ont été suppliciés et mis à mort sans pitié, sous Maximien à la fin du IIIe siècle. La cathédrale présente le plus ancien exemple d’église à coupole à plan carré. L’abside toujours orientée vers le Levant, les fidèles et le prêtre devant faire face au soleil, le «bon chemin». A droite de l’abside le martyrium qui abrite les reliques. L’église s’organisait autour d’un centre octogonal bordé de colonnes qui soutenaient la coupole. L’architecture romane qui s’est développée en Europe vers les IXe et Xe siècles doit beaucoup à l’art chrétien oriental. Des architectes en pèlerinage aux lieux saints et de passage à Bosra étaient si fascinés par sa cathédrale qu’ils en ont reproduit certains éléments dans leurs églises en Occident. La cathédrale de Bosra aura inspiré plusieurs églises de son époque, le VIe siècle, avec sa coupole inscrite dans un plan carré.
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Les Thermes romains. A l’entrée, un bassin servait à la toilette des pieds. Les thermes se composent d’ordinaire de frigidarium, tepidarium et caldarium. Or à Bosra, deux caldariums avaient été aménagés, on venait s’y faire masser. Des niches cachées alors par des rideaux faisaient office de vestiaires. Aujourd’hui, la coupole est en voie de restauration.
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Le cryptoportique romain servait d’entrepôt souterrain, et communiquait avec le marché. Il longe le decomanus sur plus de 100 mètres. 34 ouvertures en forme de lucarne assuraient l’aération et l’éclairage de l’entrepôt.
Lieu empreint de mystique, le Prophète Mahomet y fera une rencontre décisive: le sage moine Buheira
Là, le moine Buheira recevait le Prophète Mahomet et prédit sa vocation. Le jeune Mahomet accompagnait son oncle lors de ses fréquents voyages. Les caravanes avaient coutume de faire escale à Bosra, carrefour et point d’eau important. Le Prophète eut maintes fois l’occasion de rencontrer Buheira. C’est là donc, au VIe siècle que le Christianisme accueillit l’Islam, lieu incontournable de l’Histoire et de la religion. Ancien temple romain, il fut converti en église au IVe siècle. Une nef unique, une abside semi-circulaire orientée vers l’Est, là où se lève le soleil, comme l’exigeait la tradition chrétienne, qu’une tenture cachait aux fidèles. Pour accéder au saint des saints, il fallait monter quelques marches. Buheira, moine visionnaire, était le chef spirituel du courant nestorien qui ne voyait dans le Christ que sa nature humaine et maintenait que Marie était la mère du Christ-homme.
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L’église du moine Buheira à Bosra.
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Vestiges d’un temple païen, annexé à l’église du moine Buheira. Remarquer les petites pierres de la voûte et les reliefs délicatement ciselés dans le basalte, pierre pourtant difficile à sculpter.
Carrefour des caravanes, escale des pèlerins, le grand bassin de Bosra qui remonte au… IIIe siècle
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Le grand bassin de Bosra, construit sous le règne de Trajan au IIe siècle après J.-C. sur les hauteurs de la ville pour irriguer les champs, avait une superficie qui atteignait à l’époque huit mètres de profondeur! Après la conquête islamique, Bosra devenue une escale pour les grandes caravanes de pèlerins, le bassin s’appellera désormais Birkat al Hajj. Aujourd’hui, ce majestueux «lac artificiel» approvisionne Bosra en eau qui prend source à Jabal al Arab à mille mètres d’altitude. C’est aussi un lieu de promenade très prisé des Bosriotes. Au loin à droite, on aperçoit la mosquée-école «madrassa» Abul Fida, appelée Mosquée de la Tannerie, Al dabbagha. Edifié en 1225, à l’époque du calife ayyoubide Abul Fida Ismaïl, ce bâtiment insolite, avec sa salle rectangulaire et son mihrab, se distingue des autres mosquées.
La mosquée Al Omari et son minaret à base carrée, un style unique: c’est l’un des plus beaux lieux de culte de l’Islam
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Le minaret du XIIe siècle surprend par sa forme carrée inhabituelle. Outre la mosquée Al Omari de Bosra, il existe seulement deux mosquées du même style: celles de Médine en Arabie Saoudite et d’Amr Ibn el Ass au Caire.La mosquée Al Omari a été érigée en hommage au calife Omar ibn el Khattab. D’abord temple païen, il est considéré comme l’un des plus beaux lieux de culte de l’Islam conservés à ce jour, il a été achevé sous le règne des Omeyyades. Des sourates du Coran sont inscrites sur les murs de la mosquée. Bosra a été gouvernée par toutes les dynasties arabes, Omeyyades, Abbassides, Fatimides, Ayyoubides, jusqu’à l’avènement des Mamelouks.
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La Mosquée Al Omari, que les habitants aiment appeler Jameh el Arouss, la mosquée de la mariée.Cité antique… et contemporaine, ses habitants tranquilles vivent au présent leur histoire millénaire
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La plupart des demeures de Bosra se confondent avec les vestiges, même les maisons plus récentes ont emprunté nombreuses pierres basaltiques aux ruines…. Les édifices, multifonctionnels, comportent une cour intérieure, échoppe, atelier, chambres à coucher….
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L’artisanat ancestral du nawl, métier à tisser oriental, survit au modernisme. Les pièces sont proposées à la vente à l’atelier même.
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Voie d’accès à la cour intérieure d’une ancienne demeure: des poutrelles de pierre au plafond, au lieu des usuelles poutres de bois. L’on s’installe devant les échoppes aux mille et un articles colorés pour prendre l’air, et l’on salue familièrement les passants. Les règles d’hospitalité du Hauran puisent dans la tradition millénaire.
