Prestige N 77, Octobre 1999
Icône indétrônable de la chanson internationale, il a une fois de plus ému un public en délire, d’un seul geste démesuré et humble, à son récital unique au Grand Hôtel Kadri à Zahlé. C’est dans ses salons feutrés que nous avons eu le privilège de rencontrer le titan à la voix d’or.
© Prestige / Jean-Claude Bejjani
Le Liban a-t-il changé à vos yeux depuis votre première visite? J’avais déjà visité le Liban avant la guerre, quand tout était plus facile, plus beau, plus paisible. On l’appelait alors la Suisse du Moyen-Orient. En fait, je crois que c’était plus que la Suisse, un vrai paradis plutôt. Je suis revenu au Liban durant et après la guerre. Le Liban a en effet beaucoup changé. Ce qui m’a vraiment surpris, c’est la vitesse avec laquelle il renaît de ses cendres. Il le doit au genie, à l’énergie des Libanais. C’est un phénomène vraiment admirable. J’aime le Liban pour plusieurs raisons. J’ai pas mal d’amis Libanais et puis un grand nombre de Libanais s’étaient réfugiés dans mon pays durant la guerre. La Grèce et le Liban sont de bons voisins. Et puis il y a une histoire derrière le Liban, celle des Phéniciens et de l’une des plus anciennes civilisations du monde. Cependant il est vraiment dommage qu’à l’heure actuelle, les autorités de par leurs lois sur les visas et les permis de séjour, mettent les célébrités et les danseuses de cabaret dans un même panier. Je voudrais souligner l’importance d’ouvrir le Liban aux événements culturels qui contribuent largement à faire revivre un pays et faire oublier sa mauvaise reputation née de la guerre et du terrorisme.
Organiser des événements artistiques est la meilleure manière de faire renaître le pays et l’ouvrir au monde. Cela comporte bien entendu d’inviter des personnalités célèbres pour attirer les regards de la presse internationale. Cette loi n’est pas mauvaise en soi mais il faut apprendre à faire la différence…Cet incident m’a littéralement choqué et je ne suis pas le seul à l’avoir vécu.
Que gardez-vous comme beau souvenir du Liban d’antan? A chacune de mes visites, je faisais le plein de beaux souvenirs.
Quelles sont vos passions? J’adore la nature. J’aime promener mon chien au bord de la mer, en compagnie de ma femme. J’aime chiner et collectionner les antiquités, me rendre à des spectacles…J’aime les bons restaurants et faire la cuisine. Cuisiner est un art tout comme la musique, il n’y a pas de mauvaise musique, il n’y a que de mauvais musiciens. Et je crée ainsi ma propre cuisine, mes propres petits plats.
© Prestige / Jean-Claude Bejjani
Votre personnage est cosmopolite. Vous avez fait le tour du monde, vécu un peu partout, vous avez été l’idole de millions de fans et vous l’êtes encore. Ou vous considérez-vous le plus «chez vous»? Je suis l’une des rares personnes qui se considèrent citoyens de la Terre et croient en l’utopie d’un monde sans frontières. Le jour où tous les habitants de cette planète se considèreront comme des citoyens de la Terre et non citoyens d’un seul pays, la paix universelle règnera enfin.
Vous chantez en plusieurs langues, dans laquelle vous sentez-vous le plus à l’aise? L’anglais et l’italien, ces deux langues sonnent bien en musique. J’adore écouter des poèmes de Gœthe déclamés par une belle voix allemande, mais pour ce qui touche à la chanson, je préfère l’italien.
Votre discographie est immense, laquelle de vos chansons affectionnez-vous tout particulièrement? C’est étrange, il y a une chanson qui m’a suivi toute ma vie, c’est Goodbye my love goodbye, mais je n’y suis quand même pas attaché de manière particulière, parce que mes chansons c’est un peu comme mes enfants, je ne peux pas en aimer une plus qu’une autre.
Vos projets à l’heure actuelle? Un album de manière régulière tous les ans, une musique qui oscille entre le classique et le new age, avec des mélodies comme toujours. J’ai l’intention de «former» mon public à ce nouveau genre de musique. Je caresse également un projet de grande symphonie. Mon rêve, c’est une chanson ou l’oriental fusionne avec l’occidental, mais très à l’écart du «commercial» qu’on entend sur les ondes. Je vous dirai aussi que j’envisage avec un grand plaisir de retourner une fois de plus dans votre beau pays. J’aimerais notamment chanter l’an prochain sur une scène grandiose dans le cadre du festival de Baalbeck. Ce qui m’importe le plus c’est rentrer dans l’âme profonde d’un peuple. Mon succès, ma longévité dans le showbiz, je la dois à ma musique internationale, universelle. Je suis un géant silencieux, dans ma musique même, c’est pour cela que je n’ai pas besoin d’un hit, d’un tube pour avancer, me confirmer. Demis Roussos, c’est du classique, je fais un album tous les ans simplement parce que ça me fait plaisir.
© Prestige / Jean-Claude Bejjani
Franche complicité avec André Eleftériadés à qui l’on doit la venue de Demis Roussos au Liban.
Quels sont vos projets pour le Réveillon de l’an 2000? J’ai reçu des propositions de travail, mais j’hésite…J’aimerais passer la soirée du Réveillon du Millénaire, quelque part, au milieu du désert, je voudrais sentir la planète et l’espace. Parce que j’ai la chance de faire partie de cette génération qui va connaître et enjamber deux siècles, plutôt deux millénaires. J’ai également eu la chance d’être témoin d’une période extrêmement créative, les années soixante et soixante –dix, soit l’âge d’or de la musique. Et ça c’est vraiment fantastique. Propos recueillis par NATHALIE BARAKAT