Prestige N 259, Février 2015
A l’occasion du 250e anniversaire de Baccarat, Manasseh, agent exclusif de la marque au Liban, a célébré l’événement en présence de Mathias, designer et créateur de la Maison. Dans un long entretien accordé à Prestige, Mathias raconte sa passionnante histoire avec Baccarat, la plus illustre manufacture mondiale de cristallerie.
© Baccarat
Mathias, designer de Baccarat. «Mon objet fétiche est le candélabre de parquet, sur pied, commandé par la tsarine Alexandra Fiodorovna. Dans Mille Nuits, j’ai réalisé un candélabre de parquet en hommage à l’impératrice.»
Vous êtes au Liban pour le 250e anniversaire de Baccarat. Quelles sont vos impressions? J’ai visité le Centre Ville et j’ai été impressionné par la belle architecture libanaise.
Depuis combien de temps collaborez-vous avec Baccarat? Je travaille depuis dix-huit ans pour Baccarat. Ma première collection avant Mille Nuits était Rencontre, qui comprenait dix objets exceptionnels. J’avais carte blanche et j’ai créé Schéhérazade, un pot qui a eu un énorme succès ainsi qu’un magnifique candélabre qu’on a appelé Mille et une Nuits en souvenir de ma grand-mère. L’histoire remonte au début du siècle. Ma grand-mère était peintre et adorait tous les pays du bassin méditerranéen où elle a vécu avec mon grand-père militaire en poste dans ces pays. J’ai été bercé dans ces contes des Mille et une Nuits qu’elle me lisait et qui me fascinaient. Elle a même reconstitué complètement un salon syrien oriental. Comme l’appellation Mille et une nuits était longue, elle a été simplifiée pour devenir Mille Nuits. Rencontre a été à l’origine de cette collection.
Vos inspirations sont chargées de poésie… Je pense que le succès de la collection Mille Nuits est dû au fait qu’elle est chargée d’émotion. Raison pour laquelle j’ai réussi à la transcrire dans le cristal. La création est un acte de générosité. L’objet que je crée ne m’appartient plus, il appartient aux autres. La vraie création est un peu maternelle, on la fait naître, on la couve, puis il faudra qu’elle prenne son envol, on la délaisse pour la faire revivre chez les autres.
Dans Mille Nuits, vous avez innové avec la basse tension…Lorsque j’ai commencé à collaborer avec Baccarat, en 1995, j’étais déjà connu à travers la presse. J’avais créé antérieurement des verres soufflés bouche puis des luminaires. Pendant dix ans, Philips et Osram m’envoyaient des composants électriques pour les intégrer dans les lampes. Je maîtrisais le côté lumière et l’exposition de mes luminaires a rencontré un brillant succès au Japon où j’ai eu des achats très importants. L’exposition a voyagé dans tout le Japon, c’était exceptionnel, avec une scénographie spéciale. Concernant la basse tension, j’y ai insisté car une fois mise sur le cristal, elle relève son prisme, comme le diamant. Cela m’a pris trois ans de recherches. Lors de l’exposition de la collection Rencontre à New York devant 800 personnes, j’ai présenté des lustres et un arrangement de lumières montés totalement en «lego». Toute une architecture, des platines avec des clips, sans fils électriques. Un succès.
© Baccarat
Une réalisation où le passé est conjugué au futur dans l’histoire et la mémoire collective de Baccarat.
Comment étaient vos premiers pas? J’ai eu une enfance très dure, avec la perte de mon père à l’âge de 10 ans. J’ai beaucoup végété à l’école où j’ai étudié avec Paloma Picasso. J’étais à court d’argent et j’ai eu des études secondaires très dures. Imbu de moi-même, j’ai décidé à un moment donné, d’avoir une autre vie, de prendre un autre nom, j’ai choisi celui de Mathias. Tout le monde m’appelle Mathias, je suis célèbre avec ce nom. Ma mère m’a poussé à créer de mes propres mains. J’ai alors commencé par faire des miroirs avec des profils d’hommes et de femmes, des découpes dans la masse. J’ai persisté pendant dix ans et la presse m’a beaucoup encouragé. Je voulais signer simplement Mathias. Baccarat m’a permis d’avoir une vision plus stable, d’être plus serein.
Vous êtes autodidacte… Le fait d’être un peu touche-à-tout m’a permis de ne pas rester dans un moule, d’être un stéréotype. En 2002-2003, j’ai réussi à avoir ma propre maison. Comme j’adore la décoration, la sculpture et la peinture, j’ai eu l’occasion de faire une maison exceptionnelle à Paris, une maison qui a une âme. C’étaient des ateliers en mauvais état que j’ai réunis. En 2013, j’ai réalisé un reportage sur cette maison atypique, qui a eu beaucoup de succès. Il sera condensé dans un livre, pour devenir immortel, une sorte de reconnaissance.
Avez-vous des pièces signées Mathias? Oui. Des meubles en miroir, des profils, des lampes, des fauteuils en métal avec le roi et la reine, une belle inspiration gothique.
Qu’en pensez-vous des pièces colorées comme le bleu de Schéhérazade? Pour la collection Rencontre, nous n’avons pas créé de nouvelles couleurs. Baccarat a toujours travaillé dans la couleur. Pour moi, j’ai choisi le bleu cobalt, les bouchons en or. J’avais carte blanche et j’estimais que rien n’est impossible pour Baccarat. Il faut se battre pour innover. Il faut sentir le bien-fondé de notre demande et d’être dans le juste. Nous sommes dans un état de grâce qui nous permet de pouvoir inculquer ou de donner une impulsion à une création. Cézanne disait qu’il avait la main de Dieu. Nous avons besoin de beaucoup d’humilité.
Dans Rencontre, les pièces étaient limitées à 12, 8, alors que Mille Nuits était plus «commerciale». Le but de les créer était-il différent? La création n’est pas permanente, il y a des choses qu’on adapte. Pour le processus de création, je savais dans mon imaginaire ce qui convenait. Baccarat a été plus long dans le développement. A chaque fois, on rajoutait quelque chose mais c’était bénéfique parce que ça a finalement donné une pérennité à la pièce. Pour Mille Nuits, dans le marketing américain, il y a ce qu’on appelle les «pillars» ou piliers. Pour Hermès, c’est le cheval, pour Cartier, c’est la panthère qui revient. Aujourd’hui chez Baccarat, je suis très fier d’avoir Harcourt et Mille Nuits.
© Prestige
Maria Nadim et Mathias le créateur poète et charmeur.
Dans 250 ans, que souhaiteriez-vous qu’on dise de Mathias? C’est l’empreinte que vous gardez, la magie, l’esprit festif de beauté et d’art de vivre à la française. C’est séduisant, c’est un esprit de beauté, d’équilibre, ce n’est pas triste, mais plutôt un porte-bonheur. C’est la joie que vous communiquez aux autres.
Quelle est votre définition de l’art de vivre? L’art de vivre, tel que je le conçois, c’est l’harmonie totale, l’esthétique, le moral, le gustatif.
Il y a beaucoup de sensualité au toucher dans vos objets… Je suis très touché par ce que vous dites. Ce qui est beau dans le succès de Baccarat, c’est justement cette transmission complète, ce mariage d’amour merveilleux. Il faut aller voir l’exposition universelle de Baccarat au Petit Palais.
Votre plus belle rencontre? Je pense que c’est une affaire personnelle. Mais la très belle rencontre était avec Baccarat.
Que souhaitez-vous à Baccarat pour les prochaines années? De ne pas se perdre et de garder sa forte identité, ses valeurs, cette excellence et son goût très sûr et très français. Il faut impérativement préserver l’âme de Baccarat.
Propos recueillis par Maria Nadim