La Réalité plus forte que la Fiction
Après un an d’absence, j’arrive sur la Croisette, devant le palais du Festival, accueillie par le joli sourire d’Ingrid Bergman sur une affiche géante. Je reste un moment sous le charme du visage de cette belle actrice qui rappelle tant celui d’une autre actrice, présente cette année en tant que présidente du jury de la section «Un Certain Regard». Je parle évidemment d’Isabella Rossellini… Pas de doute, Isabella ressemble incontestablement plus à sa mère qu’à son père. Tant mieux pour elle, Roberto n’était pas une beauté. Cependant si on jette un coup d’œil sur la nouvelle génération, en l’occurrence sur Elettra, fille d’Isabella, petite-fille d’Ingrid, on est frappé par l’élégance et la beauté héritées de son aïeule. Pour le moment, elle est mannequin, mais je ne serais pas surprise de la voir un jour actrice, elle aussi… Pour en revenir à Isabella Rossellini, elle a remercié, lors de la cérémonie de clôture d’«Un Certain Regard», Thierry Frémaux, le délégué général du Festival «d’avoir choisi la photo de ma maman qui nous surveille tous comme un ange gardien».
Je débarque à Cannes le jour où un réalisateur italien, comme le célèbre père d’Isabella, projette un film racontant la maladie et la mort de sa mère. C’est Nanni Moretti qui présente son film «Mia Madre» accompagné à la conférence de presse par une célèbre actrice italienne: Margherita Buy. Je me souviens encore d’une étoile montant gracieusement les marches du festival. Son prénom et son nom sont ceux d’une vraie star: Catherine Deneuve. Je l’avais vue à mon premier festival en 1994 alors qu’elle faisait partie du jury présidé par Clint Eastwood, puis à nouveau en 2011 aux côtés de sa fille Chiara Mastroianni. Ce 13 mai, Catherine montait les marches pour présenter «La Tête Haute», le film dans lequel elle interprète le rôle d’un juge d’enfants. Un film réalisé par Emmanuelle Bercot que j’ai vue, par la suite, en tant qu’actrice dans un autre film en compétition, «Mon Roi».
Jacques Audiard tenant la Palme d’or. © Olivier Borde © 2015 Getty images
Ce 14 mai, Salma Hayek est venue défendre les couleurs d’un film italien, inspiré d’un conte napolitain de Gianbaptista Basile «Il racconto dei racconti» qui, selon son réalisateur Matteo Garrone, est l’inspirateur de tous les contes de fées, dont Cendrillon. Je me rappelle encore l’interview et l’accueil chaleureux de Salma Hayek à ses débuts à Cannes dès qu’elle a su que nous sommes compatriotes. Par ailleurs, ce qui ne plaisait pas aux collègues journalistes pendant ce festival, c’est le fait que le film interprété aussi par Vincent Cassel soit tourné en langue anglaise et non en italien. Mais le réalisateur explique bien son choix en disant que s’il a choisi l’anglais c’est pour faire connaître cet auteur au monde précisant que c’est en Italie qu’il a tourné ce film… J’ai aimé Charlize Theron, toute de jaune vêtue, sur le tapis rouge au bras de Sean Penn pour «Mad Max: Fury Road». J’ai vite pensé à cet acteur qui venait, accompagné de son ex-compagne Robin Wright. Il nous interdisait de les photographier ensemble! Dans une récente interview de l’actrice, elle raconte sa joie de l’avoir quitté.
1- Kendall Jenner en Chopard. © Olivier Borde. © 2015 Getty images
2- Lambert Wilson en Dior. © Dior
3-Eva Longoria en Georges Hobeika. © Olivier Borde. © 2015 Getty images
Entre «Irrational Man» et «The Sea of Trees», c’est l’envie de vivre qui l’emporte
En ce 16 mai, ayant délibérément décidé d’éviter la conférence de presse de Moretti, je déambule dans le palais et constate qu’un an après, le café dont la publicité est assurée par un acteur célèbre, distribue encore le café à tous les visiteurs. La salle attenante aux attachés de presse permet toujours de se connecter facilement, cependant les fauteuils qui servaient souvent au repos des journalistes qui doivent désormais se jucher sur des chaises peu confortables, sont retirés. La salle d’ordinateurs pour journalistes est la seule qui se préoccupe encore d’assurer un peu de détente. Je me réjouis de lire dans le petit quotidien où l’on retrouve chaque jour une photo différente d’Ingrid Bergman, qu’à 14 heures je pouvais voir avec plaisir, dans la salle du Soixantième «Irrational Man», le film hors compétition de Woody Allen. C’est l’histoire d’un homme qui a perdu toute joie de vivre. Il la retrouve toutefois à son arrivée dans une université comme prof de philosophie, grâce à deux femmes et au fait qu’il prend une décision cruciale, suite à une conversation entendue dans un café: tuer un juge. Mais Joaquim Phoenix, qui interprète ce personnage, ne va pas longtemps jouir de cette renaissance à cause de la jeune universitaire Emma Stone. Je ne dirais pas que c’est «un chef-d’œuvre» comme l’avoue l’auteur de ce film, je pense que c’est un très bon film et que j’avais pris le parti de Roy.
Aishwarya Rai portant une robe Georges Chacra Couture Printemps – Eté 2015 durant le Festival de Cannes. © Georges Chacra
Je me retrouve tout de suite après dans la salle de conférence de presse de «The Sea of Trees» de Gus Van Sant. Ce film raconte l’histoire d’Arthur, alias Matthew McConaughey, qui va au Japon dans la forêt d’Aokigahara pour se suicider. Dans ce film hué par les journalistes, condamné par les critiques, on retrouve aussi Naomi Watts. Je dois dire que, lors de la conférence, n’ayant pas encore vu le film, j’étais mue surtout par ma curiosité de voir combien l’acteur américain avait physiquement changé depuis notre rencontre lors d’une interview à Deauville il y a une quinzaine d’années. J’ai remarqué qu’il avait les cheveux plus longs et combien il avait maigri, mais j’étais agréablement surprise par ses réparties, son sérieux à vouloir défendre le film. Parlant de son personnage, Matthew a précisé qu’il hésitait sur la décision à prendre sur son suicide. En réalité, ce n’est pas une sorte de voyage morose vers la fin. Il essaie de le faire mais il redécouvre finalement la vie. Il décide donc d’y renoncer. Naomi, quant à elle, nous a expliqué comment il fallait se préparer, Matthew et elle, pour tourner le film en quelques jours pour des raisons économiques. «Je lui ai proposé qu’on s’écrive tous les jours pour exprimer les sentiments qu’on devait avoir, les réactions… et quand nous nous sommes retrouvés, nous étions prêts».
© 2015 Dominique Charriau
Cate Blanchett, à elle seule, méritait la Palme de la Meilleure actrice!
Ce soir-là, je n’ai pu voir «Carol», le film de Todd Haynes, lors de sa projection à la presse car la file d’attente des journalistes aussi bien devant la salle de projection de Debussy que de Bazin était impressionnante. Normal, pour rien au monde les collègues n’auraient raté un film avec Cate Blanchett.
Le dimanche 17 mai au matin, je décide par curiosité, d’assister à la conférence de presse du film «Mon Roi» de Maïwenn, surtout pour Vincent Cassel, que j’aime bien. Il est là, encore plus beau avec l’âge. Etaient présents à la Salle Lumière aux côtés de l’actrice, la réalisatrice du film ainsi que Louis Garel qui joue le rôle du frère d’Emmanuelle. Ce dernier se trouvait aussi à Cannes dans la section «La Semaine de la Critique» comme réalisateur d’un film intitulé «Les Deux Amis». A cette occasion, Vincent a précisé que, jouant en français, sa langue maternelle, il avait pu être détendu et jouer avec les mots. «Ce qui ne m’était pas possible si je devais parler une autre langue dans un film.» Sachant que, juste après, il y avait une autre rencontre de presse, pour «Carol». Je décide de ne pas bouger pour voir Cate Blanchett. Et là je suis agréablement surprise de découvrir une star de grande classe, d’une élégance à couper le souffle… Elle répond le long de la rencontre du tac au tac avec simplicité et naturel, elle ne manque pas d’humour non plus.
J’ai vu au cours de la séance du second jour, le 18 mai dans la Salle du Soixantième, les deux films, «Carol» et «Mon Roi» l’un après l’autre. Contrairement à mes collègues, je les ai bien appréciés.Surtout Cate Blanchett, dans «Carol». J’aurais bien souhaité que le jury lui donne la Palme de la Meilleure actrice à elle et non en ex æquo avec Rooney Mara et Emmanuelle Bercot. Les deux films, en tout cas, parlent d’amour, de passion et d’enfants utilisés comme moyen de chantage aux femmes par les maris. Dans «Mon Roi» Emmanuelle est follement, passionnément amoureuse d’un homme infidèle, menteur, jaloux de sa réussite professionnelle… allant jusqu’à la menacer de lui retirer la garde de leur fils lorsqu’enfin elle réussit à se libérer de son emprise… rôle de Giorgio, excellemment interprété par Vincent Cassel. D’ailleurs durant la conférence de presse, comme lors de la remise de prix, l’actrice a bien précisé que Cassel l’avait beaucoup aidée en étant aussi naturel que possible à bien interpréter Tony. L’interprétation d’Emmanuelle Bercot, à mon avis, était bonne mais ne méritait pas la Palme même en ex æquo. Je sens dans ce choix la pression de Sophie Marceau, membre du jury.
«Carol» raconte l’histoire d’une belle femme, distinguée, de la grande bourgeoisie qui, en 1950, dans un grand magasin, rencontre une vendeuse. Elles tombent amoureuses l’une de l’autre. Mais elles doivent affronter les conventions et les problèmes. Carol alias Cate Blanchett est menacée par son mari amoureux et jaloux de lui interdire de voir sa fille. Rooney Mara, la vendeuse, est en réalité plus libre mais doit brimer son amour. Et ce jusqu’à ce que Carol décide de vivre sa vie sans hypocrisie, refusant de céder aux chantages du mari. J’ai trouvé ce film très élégamment filmé par Todd Haynes et sans aucun voyeurisme. Pourquoi le jury a préféré Rooney à Cate? Jalousie des actrices du jury? Mystère.
Sienna Miller en Lanvin. © 2015 WireImage Marion Cotillard en Dior. © 2015 Anthony Harvey
«Amy Winehouse», voix inoubliable racontée dans un beau documentaire
Pour en revenir à ce dimanche 17 mai, vers 14 heures, j’ai assisté à un superbe documentaire très émouvant, sur une chanteuse que j’ai beaucoup appréciée, mais qui, hélas, est morte jeune, Amy Winehouse. A la fin de la projection je regrettai presque de l’avoir tant estimée car j’avais, comme des milliers de fans, causé involontairement, peut-être, sa mort. Le documentaire, signé Asif Capada, suit comme fil conducteur les paroles des chansons qu’Amy écrivait et qui racontaient sa vie. Les problèmes d’une fille qui, au début cherchait surtout l’amour d’un père qui l’avait abandonnée quand elle était enfant et qui est revenu quand elle est devenue connue. Elle a toujours cherché son approbation et lorsque ses meilleures amies lui conseillaient de se reposer un peu, son père l’incitait à continuer encore et encore à se produire. Il ne voulait pas croire qu’elle souffrait de boulimie, qu’elle avait besoin d’aide. Dans «Rehab», elle rend presque hommage aux décisions de son géniteur. Il y a aussi l’homme qu’elle a aimé, celui qui l’a entraînée sur le chemin de la drogue, elle qui était déjà alcoolique. Son amoureux qui ne travaillait pas, mais avait besoin d’argent pour se shooter, en profitait aussi… C’est au moment où elle se décide à reprendre sa vie en main qu’elle meurt avec un verre de trop. Son cœur était fragile, il n’a pu supporter. Bien dommage…
Le lundi 18 mai, après avoir assisté à la projection de «Mon Roi» et «Carol», je décide de faire un tour, vers 17 heures, entre les stands du marché du film, sors du palais et parcours le long du rivage, les pavillons. Ma surprise fut grande de découvrir que pour entrer au pavillon américain, il fallait payer 20 euros. Je retourne jusqu’au stand «court métrage» où un sponsor offrait à tous l’apéro. Je découvre à ma grande surprise qu’il y avait, parmi les concurrents dans cette section, un Libanais, Ely Dagher, qui a reçu la Palme d’or pour son court métrage «Waves’ 98». Cet après-midi, en réalité, entre un verre et l’autre, je bavardais avec une des réalisatrices de ces courts projetés surtout en «corner» et pas en compétition; elle me racontait son film qui évoquait les problèmes de son coin des Etats- Unis.
A 18 heures, je me retrouve devant la salle Debussy pour voir «Marguerite et Julien» de Valérie Donzelli à 19h 15. Après tant d’attente je suis plutôt déçue par le film qui est inspiré d’un fait divers de la fin du Moyen Age. Il raconte l’amour impossible entre un frère et une sœur. L’originalité du film revient au fait qu’il a été tourné dans le château même à Tourlaville, où les vrais protagonistes ont vécu. Et puis l’actrice Anaïs Desmoustiers sous ses airs d’ingénue de 28 ans, campe toujours des personnages ambigus, comme dans «Une Nouvelle Amie» par exemple.
La jeunesse indienne dans Masaan regarde vers l’avenir
Le 19 mai je me retrouve embarquée dans la Salle du Soixantième par «La Loi du Marché» un peu par hasard, après avoir clamé que je n’aimais pas Vincent Lindon depuis le jour où, il y a quelques années, j’ai dû batailler, ainsi que d’autres journalistes, pour réussir une interview prévue avec lui. Ses paroles étaient comptées. Toutefois, j’avoue que là dans ce film où il parle aussi peu, mais joue bien, il m’a plu. Le sujet du film est dur. Il raconte l’histoire d’un homme de la classe moyenne, qui se retrouve du jour au lendemain au chômage avec sa famille à charge. Mais qui, à sa manière se bat jusqu’à trouver du travail comme responsable de la sécurité dans un supermarché… En sortant du film je me suis dit que désormais je regarderai d’un autre œil le monde impitoyable des supermarchés, et j’ai trouvé que Vincent Lindon mériterait une palme. Le jury semble avoir été d’accord avec moi.
«Ne va pas voir «Louder than Bombs», m’avaient dit mes amis, cela ne vaut pas le dérangement». J’étais hésitante, car en tant que Libanaise, je n’aime pas vraiment les films avec des bombes. Mais le fait que l’acteur principal soit Gabriel Byrne, a aiguisé ma curiosité. Je ne l’ai pas regretté, car pour la première fois, on parle de ces reporters de guerre et de leurs difficultés à leur retour chez eux à s’insérer dans la vie quotidienne. Byrne qui campe le rôle du mari de la célèbre photographe Isabelle (alias Isabelle Huppert), morte suite à un banal accident de voiture près de chez elle, interprète un papa magnifique.
Je décidai en fin de journée du mardi 19 d’aller voir un film projeté dans la section «Un Certain Regard». Son titre était «Masaan». J’ignorais la nationalité du réalisateur mais à ma surprise je vois arriver, juste au début de la projection de son film, le réalisateur indien Neeraj Ghaywan, si joliment habillé en compagnie de ses interprètes tous aussi beaux les uns que les autres. Deux histoires qui, dans ce film, parlent de traditions dont les jeunes voudraient s’affranchir. Le tout se passe autour du fleuve sacré Le Gange et à l’issue de grandes souffrances, l’espoir semble se réaliser devant eux. Ce film a obtenu le prix de «L’Avenir» du jury.
Avec «Youth», projeté le 20 mai, le film de Paolo Sorrentino parle du troisième âge avec humour et tendresse. L’Italie espérait grâce à l’interprétation de Michael Caine obtenir au moins un prix. Mais ce soir de clôture, ils sont bien déçus de retourner les mains vides malgré les trois films présents en compétition dont celui de Garrone et Nanni Moretti. Ce dernier, cependant a obtenu le prix du jury œcuménique avec son film «Mia Madre».
Que dire du film «Nie Yinniang» ce beau film que j’ai vu avec plaisir le 20 mai et qui aurait mérité un autre prix que celui de Meilleur Réalisateur? Pourquoi pas la Palme au film du Taiwanais Hou Hsiao Hsien qui parle d’une femme assassin dans la Chine du IXe siècle, si bien avec des images magnifiques? Retrouver le 22 mai Gérard Depardieu et Isabelle Huppert dans «Valley of Love» ne m’a pas enthousiasmée. Grâce au Petit Prince, revisité par Mark Osborne, on a pu rêver, un peu dans ce festival aux histoires bien sombres racontées au fil des films mais avec souvent des lueurs d’espoir pour un meilleur avenir.