Prestige N 263, Juin 2015
En route vers le paradis, entre fiction et réalité
1- Marwa Khalil, productrice, scénariste et actrice de la pièce «3a tari2 el janneh.».
2-Sandra Khawam, psychologue et scénariste de la pièce «3a tari2 el janneh.».
© Georges Rabbath © Archives Sandra Khawam
Un brin d’humour, un brin de mélancolie… Un lot d’angoisse et de bienveillance, un lot de profondeur et de problématiques… Dans sa nouvelle pièce «3a tari2 el janneh», coécrite avec la psychologue Sandra Khawam, Marwa Khalil, productrice, scénariste et actrice, sonde les profondeurs de l’âme humaine à travers les trois protagonistes Christina, Myriam et Maya. Suite à un accident de voiture, ces dernières se retrouvent projetées aux portes de l’éternité. Qui sont-elles? Que négocient-elles? Que font-elles? Autant de questionnements qui ne laissent pas indifférent le spectateur de cette pièce dont les représentations ont lieu du 28 mai jusqu’au 17 juin, au théâtre Monnot. Marwa et Sandra confient leurs impressions à Prestige. A leur manière. Simple, sincère et spontanée. Si l’année dernière la «Znoud el Sett» de Marwa Khalil a bien réjoui le public, cette année «3a tari2 el janneh» le fera rire et réfléchir sur un thème existentiel qui nous concerne tous.
Qui est Marwa Khalil? Je suis d’abord actrice, depuis l’âge de 18 ans. J’ai commencé peu à peu à réaliser mes propres projets dans lesquels je me suis investie dans l’écriture et la production. J’enfile plusieurs casquettes, au théâtre comme au cinéma, je m’intéresse à tout ce qui est relié à la fiction. Ici on peut créer la vie qu’on veut, la réalité étant parfois pesante et répétitive.
Qui est Sandra Khawam? Je suis psy de formation et de passion, depuis plus de 10 ans. A force, ma profession a fini par largement définir ma personnalité. Je crois que tout est dit…
Est-ce votre première collaboration ensemble? Marwa: Oui, le regard d’une psychologue ajoute énormément de substance à l’écriture. C’est parti d’une idée que j’avais en tête et que j’ai partagée avec Sandra. Nous avons développé le traitement et l’écriture ensemble, le travail d’écriture a pris quatre mois, ce qui est plutôt rapide. La pièce est mise en scène par Chadi Zein et jouée par Lara Rain, Tania Assi et moi. Sandra: Oui, un projet longuement mûri…
Pouvez-vous nous donner un aperçu de la pièce? Sandra: Suite à un accident de voiture, trois jeunes femmes se retrouvent brutalement projetées aux portes de l’éternité. Elles devront défendre leur existence devant le conseil des Sages qui décidera de leur entrée au Paradis ou de leur rejet en en fer. Je ne vous livrerai pas le secret des sentences, qui est une des surprises de la pièce. Marwa: C’est l’histoire de trois femmes de confessions différentes qui se retrouvent à la porte du Paradis et qui négocient leur entrée. Vont-elles réussir à rentrer malgré leurs péchés?
D’où avez-vous puisé votre source d’inspiration? Marwa: Je viens d’une famille assez croyante. Depuis mon enfance, on nous parle d’enfer et de paradis, des punitions et des privilèges reçus après la mort. Ces angoisses sont apparemment restées et j’espère m’en libérer après cette pièce. Sandra: Mon activité de psy consiste souvent à comprendre des personnes pour qui l’angoisse de mort et le jugement qu’elles portent sur leurs vies et leurs actions constituent l’essentiel de l’angoisse existentielle. L’être humain est pour lui-même le juge le plus sévère. Tout part de là. La pièce est une forme d’auto-psychanalyse sauvage des trois jeunes femmes.
Qu’est-ce qui vous a conduit à choisir ce thème précisément? Marwa: C’est un sujet qui est relié à notre quotidien. Notre pays repose sur les confessions, on n’existe pas au Liban sans appartenir à une religion. J’ai voulu remettre en question toutes ces religions avec beaucoup de dérision, et dédramatiser le confessionnalisme au Liban qui nous paralyse dans notre quotidien. Sandra: Ce sujet est tabou. Et pourtant, tout tourne autour. J’ai pensé qu’il serait intéressant de le traiter de façon simple mais teintée d’humour.
Sandra, vous êtes psychologue de formation. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire pour le théâtre? Pour une fois c’est moi qui suis sur le divan! (rires)…
«Myriam, Christina et Maya représentent les différentes facettes de la femme libanaise et, au-delà, de la pluralité d’une population difficile à unir… ou à réunir.»
A quel public vous adressez-vous? Sandra: La pièce aborde des problématiques à propos desquelles toute personne peut se sentir concernée, indépendamment de son âge. Marwa: Pour tout âge. La pièce a un côté très ludique mais aussi un volet social et politique. Elle peut être lue à plusieurs degrés, c’est son charme.
Quelle lecture faites-vous de la pièce? Sous quel angle la placez-vous? Marwa: C’est un appel à la laïcité et au patriotisme certes, mais pas uniquement… Il y a aussi un retour aux sources et une remise en question par rapport à la femme. Ces trois femmes deviennent finalement «Eve», tiraillées entre la sécurité et le péché. Elles sont profondément humaines et difficilement domptables. Sandra: C’est une vision à la fois mélancolique et drôle, mais toujours bienveillante, de la vie et de la mort. Si les morts manquent aux vivants, ces derniers peuvent leur manquer tout autant. Et si le deuil était aussi du côté des morts eux-mêmes?
Vous êtes trois femmes sur scène. Christina est chrétienne. Myriam et Maya, qui représentent-elles? Marwa: Elles représentent l’équation libanaise, cet équilibre fragile sur lequel repose notre Nation. Sandra: Myriam est musulmane et Maya plus spécifiquement druze. Chacune d’elles soulève une problématique singulière et une manière d’être induite par ses croyances religieuses. Elles représentent les différentes facettes de la femme libanaise et, au-delà, de la pluralité d’une population difficile à unir… ou à réunir.
Marwa, avez-vous toujours créé vos propres pièces? Depuis six ans, je crée mes pièces. Il y a un côté entrepreneur qui me plaît beaucoup. Dans l’actorat on est dépendant du script, du goût du metteur en scène et du rôle proposé. Alors que dans nos propres projets, on crée le monde qu’on veut, on est plus indépendant.
Les adaptations ne sont-elles pas plus faciles et plus solides? Sandra: Pas forcément! Tout projet artistique a ses règles et ses difficultés. Marwa: L’adaptation est peut-être plus facile, mais écrire un texte, ça sort des tripes.
Quel message voulez-vous transmettre à travers la pièce? Sandra: Comme on n’en saura jamais rien, sourions à ce que nous vivons ici et maintenant! Marwa: La pièce comporte plusieurs messages, mais je dirai qu’en abordant le sujet de la mort nous faisons plutôt l’éloge de la vie… et non pas de la mort.
A quand votre prochaine collaboration? Sandra: Inchallah… rendez-vous prochainement dans ces mêmes colonnes… Marwa: A suivre…