Prestige Guide Montres, Juillet-Août 2016
A l’occasion de l’ouverture de la nouvelle boutique Patek Philippe gérée par Cadrans au centre-ville de Beyrouth, nous avons rencontré Thierry Stern, président de la marque genevoise qui est la dernière manufacture horlogère indépendante en mains familiales. Depuis plus de 175 ans sans interruption, Patek Philippe s’attache à perpétuer le grand art horloger traditionnel genevois. Thierry Stern a partagé avec Prestige les dix valeurs fondatrices de Patek Philippe présente au Liban depuis 62 ans et l’édition limitée de l’Heure Universelle réalisée spécialement pour cet événement.
Thierry Stern, président de Patek Philippe.
«Patek Philippe est présent depuis 62 ans au Liban»
Vous venez d’inaugurer la première boutique Patek Phlippe au Liban.Nous sommes installés au Liban depuis 62 ans, cette présence s’est étalée sur trois générations, mon grand-père, mon père et moi. Nous sommes liés à ce pays et les Libanais connaissent bien la philosophie de Patek Philippe, ils apprécient nos produits. Je pense que c’est pareil chez Patek Philippe qui apprécie de pouvoir travailler avec des personnes qui comprennent bien le produit ainsi que notre stratégie.
Pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir une boutique après tout ce temps? Je pense que l’évolution du lancement de la marque mais aussi des marchés et des détaillants a contribué à nous faire gagner en puissance, en notoriété, que Patek Philippe n’était connu avant que des passionnés et des puristes. Aujourd’hui il existe une nouvelle clientèle de jeunes qui a appris à nous connaître. Les clients d’aujourd’hui sont bien informés et il leur faut un personnel qualifié pour répondre à leurs questions et mettre en valeur le produit. Avoir une boutique de ce calibre, c’est être à la hauteur du client, et à la hauteur de la qualité de la marque. Nous sommes leaders dans le domaine de la Haute Horlogerie, et c’est important de le communiquer via des boutiques qui doivent rester rares. Ce n’est pas un objectif en soi d’ouvrir des boutiques Patek Philippe contrôlées par Patek Philippe. Nous partons du principe que ces boutiques doivent être gérées par le détaillant, au bon endroit, cela est important aussi. La boutique est à l’adresse qu’il faut, de plus il ne faut pas oublier le courage du détaillant qui a fait de gros investissements. Je pense que Raymond Abou Adal a une bonne vision et qu’il croit en la marque au même titre que nous. C’est un investissement à long terme qui je l’espère sera intéressant et rentable.
Pouvez-vous nous parler de l’édition limitée qui sera disponible dans votre boutique de Beyrouth? Pour célébrer ces 62 ans de collaboration nous présentons en édition limitée une complication sur 25 montres. C’est un modèle dont la base est existante puisqu’elle est dans la collection. Nous avons renouvelé le design du cadran, c’est l’Heure Universelle, et c’est ce qui donne à la pièce toute sa force. Beyrouth est mise en évidence, c’est un beau travail de guillochage sur le centre. Il a fallu chercher les bonnes couleurs, la bonne entente. Il n’est pas possible de faire une édition limitée qui ne soit pas belle, c’est une pièce qu’on peut porter facilement avec un costume, elle est magnifique et assez classe. L’idée est de l’écouler à une clientèle locale. Sera-t-elle portée uniquement par des hommes? Nous constatons que de plus en plus de dames veulent aujourd’hui porter des pièces hommes, elles portent aussi des mouvements automatiques, mécaniques et pas que du quartz. Il existe une autre couleur de cadran spécifique à cette pièce, c’est un brun foncé qui tire sur le noir, assez joli, et qui doit rester unique. Une édition spéciale doit sortir du lot, c’est la raison pour laquelle elle a été si bien étudiée pour marquer la différence.
Ne pensez-vous pas que si certaines femmes portent des montres pour hommes, c’est parce qu’il n’existe pas sur le marché de montres mécaniques pour femmes? Réaliser un mouvement fin et petit est fort compliqué, c’est tout un savoir-faire. Vous avez raison de poser cette question.Remarquez que la plupart des calibres que l’on trouve sur le marché sont des calibres hommes. Nous avons toujours voulu faire des calibres fins et petits, ce n’est pas la solution la plus facile mais cela montre aussi la compétence horlogère de Patek Philippe.
Vous avez une des collections femme les plus complètes côté mouvement, vous avez des calendriers perpétuels, annuels, répétition minute, sauf le tourbillon. Patek Philippe a toujours prôné la précision et l’esthétique. On a pris le parti de ne pas redévelopper le tourbillon parce que nous pensons que les échappements modernes sont plus précis, même si je suis conscient que le tourbillon sur le cadran est bien apprécié par les femmes.
Qu’en est-il de la fondation de la Haute Horlogerie et de la formation de nouveaux maîtres horlogers qui ont ouvert leur campus il y a une semaine? En tant que Patek Philippe avez-vous votre école? Le campus est une bonne chose, mais la formation que nous avons est un peu différente, nous formons l’ensemble de nos horlogers, non deux ou trois personnes, pour être un pivoteur ou autre. Le Maître horloger est un corps différent. Il y a la formation horlogère de base, pour laquelle nous avons nos propres écoles, et dans lesquelles nous formons nos horlogers ainsi que les horlogers des détaillants et nos distributeurs qui doivent se mettre à jour. Il s’agit de trois écoles, puis il y a effectivement les maîtres horlogers qui doivent tout maîtriser dans un domaine, ils ne peuvent plus maîtriser l’ensemble en partant du quantième perpétuel jusqu’au tourbillon ou la répétition minute ou le chrono. On va valider une fois qu’ils ont fait tous les modules, on a les grilles qui sont très dures, une forme de sélection où en fait les horlogers vont devoir pendant quelques années passer à travers l’ensemble des formations, avoir un nombre de points suffisant dans certains domaines pour être validés en tant que maîtres horlogers. L’idée est d’avoir des maîtres horlogers dans différents segments aussi bien dans la restauration que dans la production standard ou actuelle, et ce sont eux qui vont transmettre le savoir sous forme orale mais surtout l’écrit, c’est-à-dire garder des traces, mettre à jour les procédures, comment fait-on une répétition minute, quels sont les détails auxquels il faut faire attention, et c’est cela qui fait la différence chez Patek Philippe, c’est qu’on garde ce savoir-faire. Même si demain je perds mes dix meilleurs horlogers, j’ai encore ce savoir, et c’est ce qui est important pour le client parce qu’il n’a pas envie d’acheter une pièce et ne retrouver demain aucune personne qui sache la réparer.
Que recherche à votre avis le client dans une montre? Il y a un statut symbole important. L’homme est intéressé dans ce monde de technologie moderne, par une pièce qui n’a pas de batterie, qui tourne avec un petit barillet, avec des rouages, fini à la main, les gens aiment bien ce côté-là, la mécanique c’est quelque chose qu’on peut comprendre, c’est des pignons, c’est des ressorts, les gens recherchent des pièces qui durent, qu’ils peuvent transmettre. Cela ne me motiverait pas de transmettre mon Iphone ou mon Iwatch à mon enfant, l’horlogerie mécanique se transmet et se répare, c’est la grande force de Patek Philippe qui répare des montres depuis 1839 jusqu’à ce jour, c’est notre force auprès des collectionneurs dans les ventes aux enchères. Les gens investissent dans Patek Philippe, ils savent qu’il y a non seulement une histoire mais aussi une continuité. Une montre peut avoir 100 ans, elle va cependant continuer à marcher, je peux la céder à la prochaine génération, c’est un objet de valeur sentimentale qui devient aussi un objet de valeur. L’exclusivité avec Patek Philippe est que, vu qu’on est petit, on ne produit pas beaucoup de montres.
Considérez-vous le temps comme un ami ou comme un ennemi? Je pense que c’est un peu les deux, ça dépend du jour mais je pense qu’il faut le prendre comme un allié. Propos recueillis à Beyrouth par Maria Nadim