Prestige Nº 278, Septembre 2016
Grand amoureux de la musique classique, le ténor libano-américain Amine J. Hachem pousse les frontières de l’art en y intégrant des sons puisés dans des musiques à travers le monde, créant ainsi des combinaisons destinées à rendre l’opéra plus léger et accessible au grand public. Après des études à la National Academy de Munich, il poursuit sa formation au Metropolitan Opera, à New York. Prestige a rencontré le crossover tenor et ténor classique libanais qui fait frémir le public avec des opéras tels La Traviata, Tosca, Carmen, Phantom of the Opera…
© Archives Amine J. Hachem
Amine Hachem, qui êtes-vous? Je suis un ténor libano-américain vivant à New York. Je chante l’opéra et le crossover, qui est une combinaison de musique classique et populaire. Mon but est d’introduire un light opera pour initier le public à ce genre musical.
Racontez-nous vos débuts. Je suis né dans une maison musicale, où le piano est omniprésent. A cinq ans, mon père m’a appris les notes pour pouvoir m’exercer au piano, jusqu’à mon entrée au Conservatoire. A 16 ans, j’ai fait mes débuts professionnels en chantant Elvis, Tom Jones, musique pop dans des clubs, et en interprétant des rôles dans des comédies musicales. Ensuite, je me suis mis à la recherche d’une identité musicale, opéra, musique populaire… armé de ma formation classique. Après avoir essayé tous les styles, j’ai découvert que je peux être à la fois crossover tenor et ténor classique.
Pourquoi avoir choisi l’opéra? L’opéra représente un défi, un message, un genre qui nécessite une écriture musicale qui est loin d’être légère. Jusqu’au début du XXe siècle, l’opéra avait la place qu’occupe aujourd’hui le cinéma. Enfant, j’aimais les comédies musicales, le théâtre, j’étais bercé par la musique, les films Disney tels Mary Poppins, The Lion King, Sound of Music, la musique d’Elvis, Placido Domingo, Stevie Wonder… J’adorais aussi imiter Pavarotti. L’opéra m’a toujours fasciné vu les capacités requises, la puissance de la voix, et je ne pouvais pas imaginer une autre carrière.
Vous avez une attitude de Crooner sur scène plutôt que d’un chanteur d’opéra standard… Je peux être un artiste classique très sérieux, qui respecte les instructions du compositeur ou du parolier, et faire parvenir un message à travers mon interprétation dans un cadre défini. «From the Mediterranean to the Americas» au 54 Below à New York était mon show. C’est l’histoire de ma vie, mon aptitude à chanter différents styles. Je peux donner un flair d’opéra à une chanson de Sinatra tout en respectant le style de chaque chanson.
Le fait que New York soit un centre d’activités ne rend-il pas les choses plus difficiles? Exactement et c’est là où réside la beauté de New York, l’une des villes les plus difficiles parce qu’il y a beaucoup de chanteurs et peu de théâtres. Les opportunités sont très limitées comparées au nombre de chanteurs, d’acteurs formés dans les universités. La compétition est très rude à cause du surnombre d’artistes sur le marché.
Quels sont vos projets? Au printemps. je présente un concert d’opéra plutôt sérieux au Carnegie Hall: Don José de Carmen, la Tosca et Madame Butterfly, une soirée à Washington, et plusieurs représentations à New York. En septembre, j’honore Rosalind Elias, 88 ans, l’une des plus importantes mezzo-sopranos des années 50-60 qui a chanté avec Giuseppe di Stefano, Franco Corelli et les ténors les plus importants de l’histoire.
Quels sont vos idoles musicales? Ayant chanté la musique pop assez jeune, j’ai été influencé par des artistes à la fois pop et classiques que j’écoutais avec passion. Côté compositeurs, j’apprécie Beethoven, Verdi, Puccini, et les Russes Rakhmaninov et Prokofiev. Côté chanteurs, je penche pour Placido Domingo, Franco Corelli, Enrico Carruso. Quant à la musique pop, j’aime Stevie Wonder, Mickael Jackson, Tom Jones…
Quel est votre rêve? Mon rêve est de maîtriser l’art de chanter et ouvrir le grand public à l’opéra. Je voudrais que les gens aiment l’opéra, en mettant un brin de jeunesse dans un art qui remonte loin dans le temps.
Pourquoi n’y a-t-il pas de nouveaux opéras? Il y en a, mais le problème c’est qu’ils sont composés d’une autre manière que par le passé. Les nouveaux compositeurs considèrent la voix comme un instrument et leurs compositions ne sont pas destinées aux voix puissantes qui chantent Verdi, Puccini, Mozart. Je suis davantage porté sur l’ère classique romantique, Verdi ou post-Verdi. Chaque pièce artistique reflète son époque. Nous vivons dans un temps rapide, les gens n’ont plus la patience des longues œuvres. Aujourd’hui, la longueur d’une chanson qui veut faire un hit tourne autour de trois minutes. Ce siècle de vitesse bouleverse les conventions. Nous avons des talents mais nous devons nous adapter à notre temps tout en respectant la valeur des opéras passés, et nous en inspirer pour faire de belles œuvres destinées à notre époque. Tel est mon but. L’opéra est un vieil art qui a besoin d’être réformé pour l’adapter à notre temps. Tant qu’il y a des personnes qui aiment la lecture et la culture, cet art ne mourra pas.
Si tu étais une chanson, quelle chanson serais-tu? Je choisirai l’aria (pièce de musique écrite pour un vocaliste solo dans un opéra, ndlr) «Un di, all’ azzurro spazio» de l’opéra Andrea Chénier d’Umberto Giordano. Cette chanson est ce qui a été écrit de plus beau sur l’amour. Une femme riche qui aimait le poète, s’est mise à ricaner avec son amie sur l’amour. Amoureux de cette femme, Chénier compose l’une des plus belles chansons sur l’amour.
Si tu étais un opéra, quel opéra serais-tu? Andrea Chénier ou La Tosca est très proche de ma façon de penser. J’aime les caractères profonds et déterminés, des rôles qui me donnent satisfaction. Dans Carmen, j’aime beaucoup le rôle de Don José que je joue, des rôles qui ont une dimension, comme Duke dans Rigoletto qui était un coureur de jupons, égoïste et arriviste, Verdi écrivait ces rôles de méchant, charismatique, coureur de jupons… En tant qu’artiste, je préfère interpréter des rôles avec des caractères profonds et dimensionnels.
Un message pour nos lecteurs? «If the singer becomes quiet, life becomes quiet because life itself is a song.» Je suis quelqu’un d’optimiste et je sens que les gens aiment les artistes porteurs d’espoir. J’aime cette relation entre le spectateur et l’artiste qui nous fait sentir que dans la vie il y a autre chose que la routine qui nous fait oublier nos problèmes, le temps d’une représentation. Propos recueillis par MARIA NADIM