Prestige Nº 283, Fév. Mar. Av. Mai 2017
Art & Culture par Najat Kassir
Le Centre de formation permanente-CFP de l’Université Antonine-UA, a organisé du 6 au 8 octobre 2016, en collaboration avec le Cercle Drouot Contemporain-Paris, une formation intitulée: «Parlons d’Art contemporain!» Cette belle initiative a été orchestrée par la directrice du CFP, Dr Jenny Mouchantaf et la consultante d’art du Centre, Sandy Saad, venant spécialement de Paris. Les intervenants de grande renommée ont pu durant 3 jours, dresser un panorama sur les principaux mouvements artistiques, les nouveaux médias adoptés par les artistes, les dernières techniques et les rouages du marché actuel. L’intervenant, Christophe Delavault, fondateur du Cercle Drouot Contemporain, grand spécialiste du marché de l’art, l’artiste photographe Serge Najjar ainsi que la dessinatrice Hiba Kalache ont excellé, chacun de son côté, à nous initier à ce monde controversé et mal compris par le grand public.
De plus en plus, l’art dans l’absolu acquiert une valeur sûre, un refuge, à une époque d’incertitude politique et économique, revendiquant sa place de premier rang. L’art classique, dans tous ses contextes, s’est octroyé un rôle prépondérant dans les différentes époques et cultures. Ainsi, collectionneurs et amateurs ont-ils pu renouer avec un passé à la richesse artistique fulgurante. Entre les deux Guerres mondiales, émergèrent des artistes aux talents aiguisés par des années de violence et de destruction: un désir d’un autre genre, de s’exprimer, de communiquer avec un public assoiffé d’esthétique, de joie de vivre et de renouveau. D’où l’émergence de l’art, dénommé contemporain. Les années 1920-50 témoignent d’une renaissance d’un art attaché à la réalité, au quotidien des gens. L’individu y tient une place essentielle: ses désirs et frustrations s’expriment. L’émergence des écoles de Freud et Carl Jung, leurs différentes interprétations de la psychanalyse ont influencé indirectement l’art contemporain. Grâce à la présentation de Christophe Delavault, qui a acquis une expérience très étendue de tableaux, sculptures et photos, le public qui assistait au séminaire fut initié en un laps de temps assez court aux artistes suivants: Marcel Duchamp qui mit au jour la première œuvre contemporaine, «L’urinoir», surnommée «Ready made». Ce fut le 1er à avoir eu l’audace de transformer un objet banal du quotidien en une œuvre d’art. Il eut en plus l’audace de se l’approprier par une simple signature.L’artisan, son travail, n’y paraît pas, comme dans les œuvres classiques. En 1962, Andy Warhol nous surprend encore par sa sérigraphie, une répétition des photos de Marilyn Monroe, ou de la chaise électrique qui faisait son apparition en Amérique. La boîte de «Campbell soup», emblème de Warhol, se transformait d’objet publicitaire en œuvre d’art. Scandaleuse et originale, cette démarche intellectuelle donnait sa valeur à l’œuvre. Jef Koons surprend le public en 1975 avec son œuvre sculpturale, «Balloon dog», monumentale de par ses dimensions 3 m sur 3m60, une prouesse technique dont le prix a atteint 58.4 millions de dollars, record jamais atteint par un artiste de son vivant. Le tapis recouvert de fleurs, sa dernière œuvre, à la pérennité éphémère. Par-delà les objets empruntés à la réalité, émergent dans les années 20, les photos prises par des artistes-photographes, faisant concurrence à la peinture et à la sculpture. A travers l’Europe, ces photographes représentent le vrai quotidien des gens, le réel: tel Martin Paar, témoin de son époque qui relate le Quotidien de la classe moyenne anglaise avec beaucoup de kitsch, avec un clin d’œil aux réminiscences d’une Amérique moderne. En 1963, David Lachapelle utilise l’iconographie classique pour représenter des scènes Pompéiennes. Ses photos apparaissent sur des pochettes de disque. Il s’approprie le blanc. Bern et Hilda Besher, au cours des années 50, photographient le Quotidien industriel, tels les puits de pétrole. Apparition du photographe pointilliste, Pikzel, inspirant Soto, Vazarelli plus tard.
La photographie s’engage avec Kara Walker, (USA), qui traite de l’esclavage, de l’abus sexuel, en formant de grandes installations. La combinaison du son et de la lumière y fait son apparition. L’événement «Draw to perform» apparu à Londres, en est inspiré. Pour ce qui est de l’après-midi, les participants ont eu la chance de visiter l’exposition «Resistance & Persistence» de l’ONG Art In Motion, créée par la curatrice Rania Tabbara, en présence d’artistes internationaux qui leur ont expliqué en détail la création et la signification de chaque œuvre, au Jardin René Mouawad, Sanayeh. Intervient le 2e jour, le photographe-artiste, Serge Najjar, libanais, reconnu par son style abstrait de la photo où il ajoute une touche de réel par le biais de petits personnages pris dans le contexte de sa photo. Ses lignes sont droites, structurées, architecturales. Beyrouth est son champ de travail… Initiateur de l’école du «pictorialisme», Serge Najjar croit en l’abstrait. Il séduit ce petit public avec sa présentation moderne et élaborée d’un art de plus en plus sophistiqué, que lui-même maîtrise si bien. Sa présentation fut suivie d’une visite à la galerie Tanit, où expose Lamia Abillama, une installation nommée «Qui relate l’histoire de 51 femmes libanaises qui assistent passivement à un pays qui se désintègre.» Le 3e jour, Hiba Kalache, artiste multi facettes, qui excella dans sa présentation: peintre, sculpteur, orfèvre, ses oeuvres sont toutes inspirées par ses souvenirs d’enfance. Ses toiles, pour la plupart, furent éphémères, la nourriture étant l’origine. Usage de la couleur rose, sous toutes ses nuances, du fuchsia au rose bonbon, réminiscences de la tendre enfance, nostalgie de l’enfance traumatisée par les années de guerre civile au Liban. «Kiss me before you go», une de ses installations, Hiba Kalache y a excellé. Le soufisme est un de ses autres thèmes majeurs, par lequel elle transmet un message d’amour… La Jeune révolution arabe, qui a débuté en Tunisie depuis 5 ans trouve ses échos dans ses œuvres récentes. Sa présentation clôturée avec une visite du musée Saleh Barakat, où le peintre Ayman Baalbaki expose actuellement ses œuvres inspirées des multiples Guerres au Liban et leurs effets destructeurs; «Blowback», titre de sa récente exposition. Images de l’invasion israélienne sur le tarmac de l’Aéroport de Beyrouth en 1968, suivie par la destruction de plusieurs avions de la MEA. Ainsi que d’autres peintures. La visite de la collection privée du grand collectionneur Saleh Barakat ou des œuvres dissimulées au public, nous révéla une vraie caverne d’Ali Baba. Nous avons eu le privilège de voir des chefs-d’œuvre rares, dignes des plus belles collections au monde par des artistes libanais reconnus pour leurs talents.
Si l’art, sous tous ses aspects est une forme d’expression, vecteur de messages, l’art dit contemporain, de notre époque s’engagé, s’adapte à la réalité douce et amère du quotidien. Le lyrisme, la poésie, le roman, le cinéma, la peinture et la photo se sont toujours engages vis-à-vis de leurs sociétés et de leurs conjonctures. A les écouter ou à les voir, vous ressentez ce qui se passe. Que serait-ce de l’art du XXIe siècle, qui, plus que jamais, doit répondre aux exigences de temps difficiles, à une époque incertaine.