1-La Reine de Beyrouth» est le titre de votre roman. Pourquoi l’avez-vous intitulé ainsi ? J’ai intitulé ce roman La Reine de Beyrouth pour plusieurs raisons : il s’agit d’une histoire d’amour et de passion. Le narrateur-écrivain est fou d’amour pour une femme et il l’idéalise. Celle-ci est si incroyablement belle qu’elle éclipse, la beauté des mortelles. En ce sens, elle est la Sylphide, la femme idéale, porteuse de tous les espoirs, mais inatteignable. Une vraie reine.
Ensuite, parce que Layla est née en Egypte d’une famille riche de Chawams qui subissent les séquestres de Nasser. Au Liban, elle veut et va réaliser son ambition secrète, celle de « devenir une célébrité, d’aller de fêtes en galas de mode et qu’elle va finalement rejoindre les grandes figures du Gotha, pour devenir La Reine de Beyrouth, souveraine d’un monde dissolu et factice, fait de paillettes et de gloires fugaces ».
Elle est aussi et surtout une reine pour son fils, comme pour beaucoup de Libanais, car il lui doit énormément, notamment de lui avoir dévoilé la crème de la crème de la richissime diaspora libanaise. Il souffre « quand elles est la victime de la plus grande bestialité ». Il se l’imagine « épuisée et amaigrie, éternellement présente ». Il a peur pour elle : « Elle souffre dans cette mare de boue en ébullition ». Allusion à la tentative d’incursion israélienne au Liban en 2006.
2-Vous avez une carrière riche dans le monde de la finance. Comment êtes-vous venu à l’écriture ? Deux réponses, la première, j’avais développé le Moyen-Orient pour une banque avec des résultats hors de toute espérance, et, alors que je m’attendais à une promotion, la direction a décidé injustement de me mettre à la retraite. Cette dichotomie est assez typique dans le management actuel. Malheureusement.
Ce type de situation a l’avantage de vous mettre face à votre destin. On se pose des questions.
Et je me suis convaincu que j’avais autre chose à faire sur terre que de gagner de l’argent pour des gens qui en ont déjà beaucoup. En l’occurrence, mettre en perspective l’appréciation de faits, surtout ceux qui nous déshumanisent. À l’heure actuelle, l’importance de l’information forge des réalités fausses, trop de fake news. Je voulais dire certaines choses, les articuler pour que tout le monde les sache. Je n’ai pas la capacité d’écrire des essais. C’est trop sérieux pour moi.
Pour écrire, il faut avoir des choses à dire. Et j’en ai beaucoup, du fait de ma vie, de ma carrière. J’ai vécu au Moyen-Orient, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis et en Suisse. J’ai pensé que ma vie était intéressante. J’ai donc commencé par un roman autobiographique qui était trop nul, il y avait des tensions, des inquiétudes, certes, mais c’était trop prévisible. Alors, j’ai cherché de nouvelles formes, de nouvelles façons d’écrire. Le mélange entre la fiction et la réalité est une source inépuisable pour des livres.
Je crois que j’ai un côté solitaire, et l’écriture m’apporte le calme et paradoxalement l’agitation qui semblait manquer à ma vie. Mais en définitive, je ne sais pas pourquoi j’écris, c’est pour avoir la certitude que je vis. J’aime m’exprimer.
3-Que raconte le livre? On peut prendre La Reine de Beyrouth de mille façons, c’est un livre sur l’exil, sur le fait de n’être nulle part chez soi. C’est une histoire d’amour, de trahison et d’espoir. C’est un roman complexe, parfois très cru et très dur comme l’a rédigé le président d’un cercle littéraire. Il a parlé de grandeur incomparable de certains personnages, tout en les qualifiant de pitoyables. On ne peut pas parler autrement du Liban, de son histoire des trente dernières années.
On ne connait pas le Liban, on n’en montre que des souffrances, des horreurs et des destructions. Il y a bien d’autres aspects, notamment, l’immense succès de la diaspora libanaise à travers le monde. Je me suis inspiré d’un immense scandale, d’une grande injustice, de générations sacrifiées, confondues dans le délire. J’ai essayé de réparer les torts causés par certains. Tout en montrant aussi la fragilité du monde dans lequel nous vivons.
4-Qui sont les protagonistes de l’histoire? D’abord le personnage qui écrit le livre et qui a un rôle important, ensuite Layla, la Reine de Beyrouth, son fils grand financier auréolé, et puis un ministre véreux, on ne peut pas faire autrement. Mais il y a aussi l’histoire racontée par un grand cinéaste qui figure dans le roman. C’était nécessaire car il a un rôle important, et comme vous le savez, le cinéma de Hollywood montre tout très vite. Les protagonistes m’ont imposé un rythme. Je me suis laissé entraîner.
5-Pourquoi avez-vous choisi cette période spécifique de l’histoire libanaise? J’ai commencé l’histoire en 1985, même s’il y a de nombreux flashbacks des années soixante-dix, c’est là que l’horreur était à son comble. Je me souviens d’une soirée dans la discothèque de l’hôtel Printania. La musique était magnifique, les femmes rivalisaient d’élégance. En fin de soirée on a tous dansé de façon débridée. C’est normal quand on ne sait pas ce qui va arriver. Et justement, le lendemain, il y eut un carnage avec des dizaines de morts. L’horreur avait atteint son plus haut point, on se battait dans les hôtels de luxe. Les horreurs de la guerre mêlées au bonheur de se savoir vivant.
6-Quelle analogie établissez-vous entre les événements du pays et ceux du roman? J’ai essayé de faire un grand pas avec ce quatrième roman, celui du « récit dans le récit ». Avec d’importants changements de perspectives, mais toujours en tenant compte des événements. Donc on retrouvera l’histoire du Liban, mais animée par des protagonistes avec divers changements de perspective. Cependant les convulsions guerrières et morales sont omniprésentes.
Par exemple, je mentionne un crash aérien qui, aux yeux de certains, a eu une importance capitale pour le pays car s’il n’avait pas eu lieu, l’histoire aurait pu évoluer différemment. Le crash est bien réel, mais ses conséquences ne sont pas avérées.