Prestige N 290, Juin 2018
Festival de Cannes par Marie-Jeanne Asmar
Samedi 19 mai, les casiers ont été vidés, les micros enlevés, plus personne devant les ordinateurs de la salle de presse. C’est la dernière demi-heure avant que le rideau ne se ferme sur ce 71e Festival de Cannes. Le palais du Festival est désert. On voit juste quelques personnes qui déambulent ici et là. Et dire que ce palais, il y a juste trois heures grouillait encore de monde. On y apercevait des files d’attente devant les différentes salles de projection ainsi que de multiples journalistes devant la salle de conférence de presse en attente de la cérémonie de clôture et des conférences de presse du jury ainsi que des lauréats. Avant de sortir du palais, en buvant un dernier café, je repensais à ma joie d’être revenue encore cette année ne serait-ce que pour ce palmarès qui a vu une Libanaise gagner le prix du jury du Festival. Même si, comme l’a soulignée Nadine Labaki lors de sa conférence de presse, j’étais, comme elle, partagée entre la joie de ce prix et le malaise face au thème traité dans son «Capharnaüm». En fait, tout le monde me demandait ce qu’allait faire Zain, cet enfant sur lequel repose presque tout le film, une fois retourné au Liban.
Liban, Italie, Japon
ou la revanche de l’enfance?
En réalité, tout comme la réalisatrice qui a reçu aussi le prix du jury œcuménique pour son film, je ne savais que répondre. Mais, en mon for intérieur, je pensais que, peut-être un jour, il deviendra un acteur primé à Cannes, comme Marcello Fonte, l’acteur italien qui a reçu le prix d’interprétation masculine pour le film Dogman de Matteo Garrone. Lors de la conférence de presse, ce dernier est revenu sur ce qu’il avait dit alors qu’il recevait son prix des mains de Roberto Benigni: «Je suis très content de recevoir ces applaudissements qui me rappellent mon enfance quand j’entendais la pluie tomber sur les lumières de notre maison en tôle et que j’imaginais déjà alors être des applaudissements». Il a précisé que son père avait du mal à joindre les deux bouts pour les nourrir et qu’il s’arrangeait pour leur assurer un peu de pain. Il a ajouté que celui-ci serait bien content de savoir que malgré son physique, il était devenu acteur et qu’il avait déjà joué dans quelques films dont le premier d’Alice Rohrwacher. A noter que cette dernière a obtenu le meilleur prix du scénario pour Lazzaro Felice, un autre film italien en compétition. Je pensais que Zain, le petit héros de Nadine Labaki, pouvait aussi devenir un réalisateur comme le Japonais Kore-Eda Hirokazu qui, tout au long de sa carrière a accumulé les films et les prix jusqu’à obtenir cette année, la Palme d’Or pour son film, une Affaire de Famille, des mains de Cate Blanchett, la présidente du jury, qui, soit dit en passant selon un confrère, avait mis un kimono pour la circonstance. Pour en revenir à Kore-Eda qui, dans son film parle aussi d’une certaine façon, d’enfants qui s’arrangent comme ils peuvent pour «satisfaire» leurs familles. Il nous a raconté durant la conférence de presse que lorsqu’il était gamin, il vivait dans un petit appartement et que de son placard, il observait ce qui se passait… Tout en descendant les marches du troisième étage vers la sortie, je repensais aussi aux deux films que j’avais vus ce samedi-là, jour de reprise de tous les films en compétition et qui ont été récompensés. J’étais un peu étonnée qu’on ait donné le prix d’interprétation féminine à Samal Yeslyamova, l’actrice principale d’Ayka, ce film du Kazakhstan qui raconte l’histoire d’une jeune femme Kazakhe, réfugiée en Russie, sans papier, qui vient d’accoucher. Mais j’ai compris par la suite que ce film avant qu’il soit terminé a pris des années et que l’actrice fidèle au réalisateur a patiemment attendu qu’on arrive au but et que rien que pour ça elle était heureuse. Par contre, j’étais très contente que Spike Lee avec Blackkklansman reçoive le grand prix du Festival. J’ai adoré ce film à l’histoire vraie inspiré d’un policier noir infiltré dans le Ku Klux Klan local de Colorado Springs. Film plein de suspense et d’humour comme tous les autres films du réalisateur dont je suis fan.
Star Wars, Grease et…
Vertigo sur la Croisette
Il est minuit et me voilà finalement sortie du palais. Je jette un coup d’œil sur le tapis rouge qui a vu Sting chanter et faire danser tous les lauréats, les membres du jury, les organisateurs, le directeur artistique, qui souriaient, se serraient les mains, contemplaient leurs palmes avec joie. Je décide alors de me promener en cette belle soirée sur la Croisette, et je m’arrête devant l’écran du cinéma de la plage. Là, j’ai revu mon bonheur immense du 15 mai. L’après-midi, j’avais vu Di QiuZuiHou De Ye Wan du réalisateur chinois BI GAN, en compétition dans la section Un Certain Regard. Munie de lunettes 3D, je suis rentrée en salle et là on nous a dit de les mettre quand le héros le fera. En effet, c’était l’histoire d’un homme qui revient dans son pays natal à la recherche de la femme qu’il aimait, allant jusqu’à porter ces lunettes en rêvant cette rencontre. Le soir de ce 15 mai, donc, enroulée sous une couverture, assise sur une chaise longue sur le sable, je regardais Vertigo de Hitchcock lorsque soudain l’écran s’éteint et d’une manière fulgurante de la mer s’invite Star Wars avec sa musique et son feu d’artifice magnifique. C’est vrai ce jour-là sur le tapis rouge, Ron Howard avait débarqué avec Solo: A Star Wars Story. A ce moment-là en bonne festivalière, j’ai voulu partager cet instant sur ma page Facebook mais j’ai appris à mes dépens que je ne pouvais pas diffuser toute la musique. Tout cela pour un problème de droits. Rien ne pouvait cependant entamer ma joie et le 16 mai, au matin, regardant le ciel nuageux, je me demandais si le déjeuner offert par le maire aux membres du jury ainsi qu’aux journalistes au Suquet aura lieu ou sera annulé à cause du temps. Mais, à 13 heures, le ciel se dégage, le soleil brille et nous voilà tous, sur les hauteurs de Cannes à partager l’aïoli et à boire. Je ne sais pourquoi, mais, pour moi, le rosé bu là, a un autre goût. Je descends, un peu éméchée des hauteurs et me précipite vers la salle Buñuel à l’intérieur du palais, pour rencontrer John Travolta. Attendre plus d’une heure pour retrouver un acteur qui a fait de bons films, a eu une carrière exceptionnelle et qui, surprise, accepte de répondre à toutes les questions durant environ trois heures, vaut la peine. Cette année le Festival a décidé de ne plus proposer une seule «masterclass» mais quatre rendez-vous avec différents professionnels du cinéma. Si j’ai raté les rencontres avec les deux réalisateurs Ryan Coogler et Christopher Nolan, je ne pouvais manquer celui avec Travolta. D’autant plus que le soir on célébrait les 40 ans de Grease en le projetant sur l’écran de la plage en présence de Danny lui-même qui en compagnie du public a swingué. Pour en revenir à cet après-midi mémorable, Travolta nous a présenté sa famille: son épouse, sa fille, sa sœur… Il a mis en valeur les talents de chacun, évoqué sa manière de jouer, de se préparer pour ses rôles, de sa collaboration avec les réalisateurs, soulignant que jouer dans une série télé ou au cinéma c’est pareil pour lui. Il a évoqué le premier film «italien» qui lui a donné envie de devenir acteur. Surtout, il a répondu avec beaucoup d’humour aux étudiants des différentes écoles de cinéma. Une qui se proposait comme actrice dans un de ses films, un qui voulait lui proposer un rôle dans un film qu’il réaliserait et enfin un échange amusant avec une fille que les parents ont appelée Sandy comme Olivia Newton John dans Grease…
Regards sur le Brésil,
la France et le Kazakhstan
Vers la fin de la journée de ce mercredi j’ai décidé de voyager au Brésil avec un couple de réalisateurs compagnons dans la vie. Lui s’appelle João Salaviza. Elle, s’appelle Renée Nader Messora et avec leur film, Chuva E Cantoria Na Aldeia Dos Mortos, ils ont obtenu le prix du jury d’Un Certain Regard, présidé par Benicio Del Toro. Rencontre magnifique au nord du Brésil, à Pedra Branca, avec la communauté indigène Krahô, et ses rituels. Très beaux paysages et belles photos… Ce n’est pas facile quand on est indigène de s’enfuir pour aller vivre en zone urbaine. Le jeudi 17 mai, je vais dans la salle Bazin et là je me décide à voir La Traversée des Français Romain Goupil et Dany Cohn-Bendit. Je m’attendais à un road-movie classique. J’avais oublié que c’étaient des ex de 68 et lors de ce voyage, ils nous montrent les espoirs, les problèmes et les réussites des Français. Le plus étonnant et amusant c’est leur rencontre avec le président Macron, une vraie surprise. Le soir, je reçois comme un coup de poing Capharnaüm le film de Nadine Labaki. J’entends à côté de moi les gens pleurer et moi je ne sais où me cacher. Le soir, je me console un peu avec la poésie d’un film du Kazakhstan dont le titre en français est La Tendre Indifférence du Monde. L’histoire de cette jeune femme qui vit dans son monde fait de poésie et d’élégance loin de sa réalité sordide devrait être triste. Mais la photographie très belle adoucit le tout. Bravo au réalisateur Adilkhan Yerzhanov.
Gary Oldman, Vanessa Paradis…
Heureusement, vendredi, le jour est ensoleillé. Je me dépêche au Palais pour la conférence de presse de Vanessa Paradis, à laquelle je voulais assister par curiosité. Etant arrivée un peu en retard, on ne me laisse pas entrer. Que m’importe. Je la regarde parler sur l’écran de la salle de presse qui se trouve à côté. Je me rends compte que c’est sans doute l’une des rares actrices qui n’a pas eu recours au bistouri et qui accepte ses imperfections. Je lui prends quelques photos pendant sa pause «cigarette». Puis je rentre à la conférence de presse du film libanais en compagnie de Nadine Labaki, Yordanos Shifera, Zain Al rafeea, Khaled Mouzanar… A la fin de la conférence je cours devant la salle Buñuel pour attendre Gary Oldman. Evidemment je ne suis pas la seule. Mais au bout de deux heures, nous retrouvons l’acteur britannique oscarisé pour son rôle de Winston Churchill. Beaucoup d’humour anglais et de sérieux. Durant ce rendez-vous on apprend que de sa filmographie, il aime regarder surtout JFK d’Oliver Stone, film dans lequel il a joué le rôle d’Oswald, l’assassin du président. Il parle du tournage, de la liberté donnée par le réalisateur. Il avoue que le film qu’il aime le moins est Dracula. Il explique aux élèves comment il travaille sa voix, évoque la différence entre la préparation des acteurs en Angleterre et aux Etats-Unis, la différence entre jouer au théâtre et au cinéma… Une belle leçon de cinéma par un grand acteur. Mon seul regret pour ce 71e Festival de Cannes c’est de n’avoir pas pu assister, de près, à la montée des marches de Penelope Cruz et Javier Bardem, un couple d’acteurs que j’aime bien. Mais ce n’est que partie remise, je suis sûre.