Elsy Fernainé: «L’acteur a besoin d’un troisième œil»

Avec son mari, Georges Chalhoub, ils forment un couple parfait mais aussi l’un des piliers de la scène dramatique libanaise. Ses débuts, très jeune, étaient à l’âge d’or de Télé-Liban. Cette actrice chevronnée livre à Prestige ses pensées sur l’état actuel de la scène libanaise.

 

 

© Archives Elsy Fernainé.

 

 

 

  • Vous avez choisi toute jeune, le métier d’actrice. Parmi les multiples rôles que vous avez joués, lequel est le plus cher à votre cœur? Je n’ai pas choisi le métier d’actrice. On a découvert mes talents d’actrice à l’âge de 8 ans pendant que j’étais à l’école. Une maîtresse était douée pour l’écriture de scénarios, qu’elle incorporait dans le programme des enfants. Inspirée par mes traits, soupçonnant chez moi un talent dramatique, elle m’a fait subir un test et a apprécié le rendu. J’ai commencé à jouer au théâtre de l’école, et les pièces étaient parfois présentées à l’Unesco dans le cadre de concours interscolaires. J’ai également participé à des programmes pour enfants tels Mama Afaf ou L’amie Jinane. Mes parents ne voyaient pas d’un bon œil mon choix de devenir actrice. Lorsque Télé-Liban m’avait proposé à un très jeune âge de jouer des rôles dramatiques, mes parents ont refusé. A 18 ans, et par pure coïncidence, je suis allée avec ma maîtresse à Télé-Liban, à l’insu de mes parents, car je voulais faire mes pas dans ce domaine. Cette fois-ci, la direction m’a proposé d’être présentatrice de programmes, et mes parents ont approuvé, considérant cette option plus sérieuse. Parmi les nombreux rôles que j’ai joués, le plus cher à mon cœur est celui de mes débuts dans le feuilleton «Souvenirs d’infirmière». Ensuite j’ai participé à plusieurs feuilletons, notamment «Les Misérables», dans le rôle de Fantine. J’étais censée continuer dans le rôle de Cosette, mais je n’ai pas réussi à le faire, vu que j’étais enceinte de mon premier enfant. Dernièrement, j’ai joué un rôle spécial, celui de Mounira dans «Achraqat el chams».

 

  • Quel rôle aimeriez-vous jouer actuellement? Je rêve d’incarner Amina, un personnage de notre grand penseur Gibran Khalil Gibran. Une femme mystique qui vivait dans une forêt du Mont-Liban, qui cherchait à être proche du monde spirituel, de la sagesse afin que les peuples du monde entier, puissent vivre en paix, sans discrimination ni fanatisme. C’est un personnage et une problématique intemporels, plus que jamais nécessaires à notre époque pour créer un rapprochement entre les personnes, éloigner l’extrémisme. Pour bien vivre ensemble, vis-à-vis de la nature, saisir l’énergie positive de l’univers que les gens ignorent car ils sont pris par le bruit, les mondanités. Leur approche de l’univers est assez superficielle, ils refusent l’énergie positive qui pourrait changer beaucoup de choses dans le monde, si chacun de nous portait cette énergie dans son for intérieur.

 

  • Vous étiez parmi les invités de la Golden Night pour célébrer le 19e anniversaire du Murex d’Or. A votre avis, quelle valeur ajoutée représente la réception d’un prix dans la carrière d’un artiste, notamment pour vous qui avez été lauréate d’un Murex d’Or en 2001? La réception d’un prix, spécifiquement le Murex d’Or, apporte une valeur ajoutée sur le plan moral. Cela implique que notre performance est appréciée, que notre manière d’incarner le rôle a été un grand succès. Le public m’a désignée pour être première, puisque tous les artistes ainsi que toutes les œuvres artistiques sont divisés en catégories et soumis au vote du public via Internet. Les frères Hélou persévèrent à travers les années pour présenter des prix aux artistes méritants. Ayant été plusieurs fois membre du jury du Murex d’Or, je peux témoigner que l’activité du jury est parfaitement dénuée de tout intérêt, les prix sont accordés aux personnes les plus méritantes, qui ont la faveur et l’unanimité du public et des médias. Cette compétition contribue à élever le niveau des feuilletons et des acteurs qui se lancent des défis pour être les meilleurs, que ce soit au niveau des scénarios, de la mise en scène, ou de la production. Les maisons de production locales mettent ainsi la barre très haut pour rivaliser avec les feuilletons turcs ou syriens, et de ce fait, les feuilletons libanais sont vus dans le monde arabe, sur Netflix, qui n’acceptent qu’un feuilleton conforme aux critères de qualité…Ces prix ont posé le défi pour la réalisation de meilleurs projets.

 

  • Que pensez-vous de la génération actuelle d’actrices? Dernièrement, il y a une grande amélioration dans la performance des acteurs, dans leur sensibilité, la simplicité de leur expression, l’image qu’ils reflètent. Ils cherchent davantage à être professionnels plutôt que de compter sur leur image. On exige de l’acteur de s’occuper davantage du contenu que de l’image et c’est ce qui est fait actuellement. Cela dit, il subsiste une catégorie pour qui l’image est plus importante que le contenu, d’où le rôle du metteur en scène professionnel de les diriger. En tournant, l’acteur est pris par le scénario, le texte, d’où la nécessité d’avoir un troisième œil professionnel qui saisit le travail dramatique, non seulement sur le plan technique, mais aussi au niveau de la performance. Cela aide l’acteur et contribue à valoriser l’œuvre entière. A la nouvelle génération, je lui dirai, soyez simples.

 

  • Comment évaluez-vous le niveau du cinéma ou des feuilletons télévisés libanais par rapport à leurs concurrents dans le monde arabe? A mon avis, il est important que la télévision ou le cinéma, véhiculent des messages, car les gens lisent de moins en moins. La télévision est dans tous les foyers, et le public aime aller au cinéma. Je suis pour les œuvres qui visent un objectif, et contre les œuvres satiriques. Je sais que le monde n’est pas parfait, mais même les situations comiques ne doivent pas être dénuées d’une certaine classe, du respect du spectateur. Mieux vaut habituer le spectateur au meilleur et non aux anecdotes insensées, vulgaires, juste pour provoquer le rire. A tel point que les parents qui regardent ce genre de programmes avec leurs enfants auraient honte. Je me demande comment un média respectable autorise la diffusion de tels programmes. Cela n’est pas permis. Nous nous devons de conserver de bons principes et certaines valeurs sociales, afin d’élever des générations éveillées. Nous avons besoin de programmes qui éveillent l’intelligence, élèvent l’esprit. L’être humain n’est pas fait uniquement de sens et de désirs, il a une logique, un cerveau. Certains films, à titre d’exemple, comme The Insult sont sérieux, ils respectent le spectateur. De même pour les films de Nadine Labaki, qui a créé la différence dans le cinéma libanais ainsi que d’autres noms…Propos recueillis par Rita Saadé

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