Dans l’esprit de Pâques et en préparation à la fête, Prestige a rencontré le Révérend Père François Koussaifi, de l’Ordre des Frères Mineurs Capucins au Couvent Saint-François à Mtayleb. Dans une interview exclusive, l’historien profond et précis, alliant action, charisme et érudition, fait la lumière d’une manière simple et compréhensible, sur des thèmes hautement spirituels. A lui, la parole.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre formation religieuse? Je viens d’une famille religieuse croyante et pratiquante. Nous sommes très proches de l’Eglise, à plus forte raison dans l’Eglise, avec une tante et une sœur religieuses. Je sentais que j’avais la vocation depuis ma première communion que j’ai vécue comme un moment très fort et très concentré, et à laquelle la religieuse nous avait très bien préparés. Et comme mon prénom était François, quelque chose m’attirait vers la spiritualité franciscaine, surtout que ma sœur et ma tante étaient des sœurs Franciscaines de la Croix. Je voulais faire mon entrée après la première communion, mais on m’a demandé de patienter et d’étudier pour distinguer ma vocation. Donc, à 13 ans, je suis entré à l’école séraphique à Batroun, j’ai fait trois ans d’études complémentaires, le Noviciat, puis j’ai continué mes études secondaires à l’école Notre-Dame des Anges, à Badaro. Ensuite, j’ai fait trois ans d’études philosophiques et théologiques à l’Université Saint Esprit Kaslik, intercalées d’une année pastorale à Deir el Zor et la région de la Mésopotamie. Durant la guerre de libération, et suite à une proposition du Père général des Capucins Flavio Carraro, qui était en visite au Liban à l’occasion du chapitre d’élection, j’ai continué le premier cycle à Milan. En 1993, ordonné prêtre à Notre-Dame des Anges, ma patronne, j’ai servi pour deux ans comme vicaire et professeur à l’école Notre-Dame et à Saint-Joseph Batroun. En 1995, j’ai voyagé en Italie mais cette fois-ci à Rome, pour faire une spécialisation en Liturgie et musique sacrée. Mes études terminées, j’ai servi une dizaine d’années à Dubai, et trois autres à l’Eglise Notre-Dame du Rosaire au Qatar. Après quoi j’ai été nommé curé de la paroisse Saint-François à Hamra et la cathédrale Saint-Louis, Bab Idriss.
Quelles impressions avez-vous gardé des 10 ans passés à Dubai? J’étais nommé à Dubai, mais en fait, j’œuvrais dans tous les Emirats du Nord, Dubai, Sharjah, Ras el Khayma, Oum el Kiwan, Fujairah et Ajman. La mission était immense et les fidèles étaient assoiffés de la parole de Dieu, et cela me donnait l’enthousiasme de travailler parfois sans arrêt, comme on dit, jour et nuit. Ce qui était magnifique, c’est qu’à mon temps là-bas, et avec Mgr Bernard Gremoli, nous avons construit plusieurs églises: l’église Saint-François d’Assise à Jabal Ali, celle de Saint-Antoine de Padoue à Ras el Khayma (avec un grand miracle, que personne ne connaît), et l’église Notre-Dame du Perpétuel Secours à Fujairah. Celle-là aussi et certainement parlant, il y avait la main de Dieu qui travaillait, et l’Esprit Saint guidait le travail avec l’intercession des Saints patrons.
Le premier voyage du pape François aux Emirats, en février dernier, était porteur d’un message. Lequel, à votre avis? Le message que le pape François a porté aux Emirats était très clair, du titre qu’il a choisi pour sa visite et qui est tiré d’une prière de saint François d’Assise: «Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix». La visite était une invitation à participer au Congrès du dialogue interreligieux. Le pape y a été convié parce que dans l’un de ses discours, il a séparé entre le terrorisme et l’islam et il l’a fait au moment où la plupart des responsables et des discours confondaient entre l’islam en tant que religion et le terrorisme. Par ailleurs, cette visite coïncidait avec le 8e centenaire de la rencontre de saint François d’Assise avec le sultan Kamel dont nous avons tant de témoignages positifs, et saint François était considéré comme un pionnier de la paix.
Quelle signification attribuez-vous au carême qui précède la fête de Pâques? Le terme carême vient de quadragésime, qui veut dire quarante. Donc les significations que je donne sont en relation avec le nombre 40. Cela nous rappelle avant tout les 40 jours de jeûne que le Christ a passés dans le désert. C’est un cheminement que nous faisons avec le Christ comme préparation au grand mystère de sa passion, de sa crucifixion, de sa mort et de sa résurrection. C’est le grand mystère, raison pour laquelle nous le préparons avec un grand jeûne. Puis il y a les 40 ans du peuple juif dans le désert, guidé par Moïse, pour arriver à la terre promise. Il y a certainement les difficultés qu’ils ont affrontées comme faim, soif, etc, mais il y a l’expérience de l’intimité avec Dieu que souhaite vivre toute la communauté des croyants. Les orientations des autorités religieuses parlent de trois pratiques qui vont ensemble: le jeûne, la prière et l’aumône. Je leur ajouterai deux autres, à savoir le silence et la patience. Ces activités nous aident à mieux nous préparer à la célébration des fêtes pascales.
Le mois de mars réunit trois célébrations tournant autour de la famille. La fête de Saint Joseph, le 19, celle des Mères le 21 et la fête de l’Annonciation, le 25 mars. Les trois sont chargées de symboles. Voulez-vous nous en parler? Chaque mois est porteur de fêtes, mais celles du mois de mars revêtent un aspect particulier. N’oublions pas que la fête des Mères arrive le jour de l’équinoxe, qui marque le passage de l’hiver au printemps. Elle tombe entre la fête de Saint Joseph et celle de l’Annonciation. Le mystère de tous les mystères, voire la fête de toutes les fêtes est reliée à cet événement. Avec l’Annonciation, qui tombe neuf mois avant Noël, c’est la joie et l’espérance qui entrent dans le monde, c’est la manifestation de l’amour de Dieu à toute l’humanité, c’est le mystère qui était caché et qui se manifeste au monde entier. La Vierge qui devient Mère par l’action de l’Esprit Saint, qui est donnée comme exemple pour toutes les mères, et avec son chaste époux Saint Joseph, comme exemple pour toutes les familles.
Racontez-nous brièvement l’histoire du couvent Saint-François à Mtayleb… Nous avons acheté ce couvent en 1980. C’était une école protestante, que nous avons transformée en école séraphique et maison de formation. En ce temps-là et durant la guerre, nos trois paroisses à Beyrouth étaient en danger. Raison pour laquelle nous avons cherché un couvent à l’écart de la ville et en même temps proche des écoles et des universités. A cette époque, la région était inhabitée et peu peuplée, mais nos paroissiens à Beyrouth ont commencé, peu à peu, à acheter des terrains et à construire, et la région s’est transformée en ville. Et comme l’église est devenue assez fréquentée, nous avons lancé les activités pastorales, comme des tiers ordres Franciscains et la Famille du Sacré-Cœur, la chorale et la catéchèse, à côté d’autres activités de formation franciscaine.
Le 25 mars 2019, le père François a donné une conférence intitulée «Sequela Christi, Suivre Jésus sur les traces de Marie».
Vous organisez de nombreuses activités paroissiales, retraites spirituelles, sessions et même un cours d’italien… Ces activités paroissiales sont préparées selon la nécessité des fidèles. Outre les messes assurées en trois langues, arabe, français et anglais, nous organisons trois retraites annuelles, une avant Noël, une seconde avant Pâques, durant le carême, et une troisième au mois de Marie. Nous avons également lancé un centre de formation religieuse, au cours duquel j’ai donné un cours sur les sacrements, avec une orientation franciscaine.
Vous avez célébré le 21 mars la messe des ambassadeurs en la cathédrale Saint-Louis au Centre-Ville. Une idée de cette célébration? La cathédrale Saint-Louis a joué un rôle important dans l’histoire du Liban, notamment sous le mandat français. Elle était devenue quasiment un centre religio-politique, accueillant à la messe les Français, les généraux, les responsables et les francophones. Comme le français était la langue de la diplomatie, ils ont commencé à célébrer une messe pour les ambassadeurs, d’où la tradition. Nous célébrons cette messe lorsque les circonstances le permettent. A noter que cette année, la messe des ambassadeurs a été organisée par la Ligue latine.
Les Capucins sont installés depuis longtemps au Liban. Donnez-nous un avant-goût de leur histoire qui sera à suivre… Les Capucins sont arrivés au Liban en 1626. Mais il ne faut pas confondre avec les Frères mineurs, qui y sont arrivés bien avant cette date. Les Capucins qui sont toujours des Frères mineurs, sont venus avec l’émir Fakhreddine qui les a invités au Liban lors de sa visite en Italie. Ils se sont installés à Sidon puis à Beyrouth et à Abey. Propos recueillis par Mireille Bouabjian
