Prestige no 9 -Février 1994
J’admirais les speakers de la radio mais rêvais d’être avocat
Correspondant, rédacteur, envoyé special, chroniqueur…Il n’existe guère un recoin que Camille Menassa n’ait pas exploré. Rien d’étonnant quand on joint, à un sens de l’humour des plus fins l’invariable présence d’esprit à la pétulance qui définissent le vrai journaliste. Camille Menassa ne peut s’empêcher de caricaturer même sa naissance. «Je suis né le jour de la Saint-Valentin dans une Chevrolet… Ma mère, en se rendant de Sidon à Tyr, a ressenti, chemin faisant, les contractions. Durant huit années, le représentant de Chevrolet m’envoyait en souvenir une cravate ornée d’automobiles». Le port antique de Tyr. Le parfum des orangers à Sidon ont imprégné son enfance. Les ruines phéniciennes et romaines lui ont inculqué la passion de l’histoire. «J’admirais très jeune déjà les speakers de Radio Londres mais je rêvais plutôt de devenir avocat et d’exercer le droit pénal». Camille Menassa travaille dans une banque quand Georges Naccache l’entraîne dans les bureaux de «L’Orient». La première fois qu’il lit son nom en manchette, pour un reportage sur le palais présidential de Baabda, se souvient-il, il ne peut réprimer sa joie. Amoureux de May Abdel Sater qui deviendra sa première épouse, il lui débrouille un poste à la Compagnie Libanaise de Télévision. Il l’y rejoint un an plus tard, en 1959. L’histoire commence alors… Camille Menassa est d’abord traducteur. A cette époque, la traduction se faisait en direct et les situations tordantes ne manquaient pas. «Je m’emballais si aisément que je ne pouvais me retenir de glisser en même temps des commentaires inopportuns sur le héros du film». Un jour, il en rajoute tant qu’on doit même lui couper le son à son insu. Camille Menassa vire ensuite vers le journal télévisé.
Le Yémen était en effervescence. L’Iman Badr renversé par Abdallah Sallal s’était refugié dans les montagnes. Menassa a traversé le désert à dos d’âne pour le rencontrer. L’Arabie Saoudite a utilisé ses photos pour prouver à l’ONU que l’Iman ne se trouvait pas en territoire saoudien.
Cette période foisonne de souvenirs. Le Yémen était en effervescence. L’Iman Badr renversé par Abdallah Sallal s’était refugié dans les montagnes. Menassa a traversé le desert sur le dos d’un âne pour le rencontrer. «J’ai croisé là-bas le correspondant de New York Times. J’ai tenu lieu de traducteur entre lui et l’Iman. Nous partagions la même tente et le peu de vivres dont on pouvait disposer. La nuit, nous étions obligés de nous réfugier dans les grottes pour éviter le pilonnage. L’Arabie Saoudite utilisa nos photos pour prouver au Conseil de Sécurité que l’Iman n’était pas en territoire saoudien. Ce fut l’aventure la plus passionnante de ma vie». La carrière de Camille fut jalonnée de reportages les plus inouïs. Hong Kong, Taiwan, le Mexique, Leningrad, Moscou, l’île Tumoy bombardée quotidiennement par la Chine communiste… Il signa un contrat interdisant à sa famille revendication de sa dépouille mortelle en cas de décès.
Longue nuit à Bagdad à écouter les propos du général Abdel Karim Kassem qui s’était emparé du pouvoir suite à un coup d’état sanguinaire et qui vivait dans la terreur d’être tué. A Beyrouth, le lendemain, Menassa apprend l’assassinat du général. Le survol de l’espace aérien iraquien est interdit mais l’intrépide reporter parviendra encore à couvrir l’Evénemment.
Je vouais une admiration sans bornes à deux leaders orientaux: le roi d’Arabie Saoudite, Fayçal 1er pour la subtilité de sa diplomatie et Gamal Abdel Nasser qui a donné conscience au monde de l’importance des Arabes. J’ai rencontré Nasser à plusieurs reprises, une fois même pour un interview qui a duré plusieurs heures.
Rares sont les personnes qui arrivaient à gagner la confiance du leader égyptien. Menassa faisait partie de celles-là. Preuve en est la photo ci-contre où l’on peut voir Nasser prononcer son discours du balcon du palais Dhiyafa. Derrière lui, une poignée d’hommes, les seuls à avoir reçu l’autorisation de rester à ses côtés; à droite, Camille Menassa.
L’Egypte, à mon avis, a connu deux enterrements mémorables: celui de Oum Kalsoum et les historiques funérailles de Nasser. Le monde entier est venu faire ses adieux au champion du panarabisme. Je dînais à l’ambassade de France quand la nouvelle du décès de Nasser m’est parvenue. J’ai quitté précipitamment la salle et me suis rendu en hâte aux studios de la télévision. Après un hymne du Coran, j’ai annoncé la mort du chef arabe avec une telle émotion que, m’a-t-on dit, j’ai bouleversé les Libanais. Les obsèques ont laissé une impression indélébile dans ma mémoire. Le peuple égyptien qui était censé se déplacer derrière les chefs d’états et la presse s’est rué en avant. L’empereur éthiopien Hailé Sélassié a failli être piétiné sans mon aide et celle du premier ministre français». En outre, Camille Menassa n’a pas hésité à faire escale chez l’Imam Khomeiny qui le reçut à l’iranienne le jour de l’anniversaire de la Révolution, à faire des loopings avec le roi Hussein… à relater en direct le coup d’état du général Aziz Ahdab.
La visite du Pape Paul VI au Liban en 1964, narrée par Camille Menassa, effleura une toute autre dimension. La foule attendrie versa des larmes, parmi elle, de nombreuses femmes musulmanes. D’aucuns touchaient le journaliste telle une relique car il avait approché le Saint Père. Il sut exprimer les mots qu’il fallait avec simplicité et émotion…
Camille ne manque pas non plus de relater des anecdotes de parcours: en 1965, alors directeur du Centre National du Cinéma au ministère de l’Information, il accompagnait le président Hélou en visite officielle à Paris. «Nous étions conviés à une réception à l’Elysée. Je me rappelle un incident fort plaisant. L’imposant général De Gaulle circulait parmis les invités, accompagné d’André Malraux, ministre de la Culture lorsqu’un journaliste libanais d’éducation anglaise l’interpela familièrement:
’’ Mon général, quand tu vas venir chez moi au Liban?’’.
De Gaulle poursuivit son chemin feignant n’avoir rien entendu et Malraux retira le maladroit dans un coin de la salle’’.
Omniprésent dans l’oeil du cyclone politique interne ou international, l’éminent journaliste observe, note, transmet, pour l’histoire et la postérité.
Quant au jour de l’assassinat de John Kennedy, je rentrais à peine de Syrie où j’avais interviewé le général Amine Hafez. On m’appelle pour m’informer du décès tragique du président américain. Je me précipite vers les studios. Samira Toufic interprétait une chanson et Abou Sayah, déguisé en bédouin, dansait. Je leur fais de grands signes pour signifier l’urgence de la nouvelle. Sans résultat! J’ai donc dû bousculer le danseur pour annoncer le premier ce précieux communiqué. Abou Sayah s’en prit à moi plus tard». Une autre encore: la crise de la Baie des Cochons est vécue dramatiquement à la télévision libanaise. Au moment où Menassa annonce le discours de Kennedy, l’annonce publicitaire «Buvez Coca Cola» apparaît par méprise sur l’écran.
L’ambassade US contacte aussitôt pour réprouver l’incident alors que la compagnie Coca Cola téléphone pour remercier chaudement l’équipe. Cheikh Boutros El Khoury, convaincu de la gravité du blocus de Cuba envisage d’effectuer une commande de blé pour le Liban … « Les conflits avec les censeurs étaient très risibles surtout que ces derniers étaient pour la plupart mal informés. On m’empêche de prononcer le nom de Villejuif, un centre de cancérologie dans la banlieue parisienne ou de citer d’«Athalie», une tragédie racinienne, sous prétexte qu’il comprend le mot temple».
Une carrière riche par son éclectisme. Menassa a cumulé entre autres les charges de rédacteur, conseiller de redaction, directeur de journaux televises, correspondant de divers medias étrangers, chargé de cours universitaires, president de l’International Advertising Association-Liban.
Menassa à Khrouchtchev: «Vous êtes plus impérialiste que moi»
C’était l’inauguration du Haut Barrage d’Assouan; Khrouchtchev saluait la presse. Au moment où je me nommais devant lui, il me sourit: «On voit bien que vous venez d’un pays impérialiste». J’ai rétroqué de façon non moins péremptoire: J’ai rétroqué de façon non moins péremptoire: «En comparant la taille au poids, vous êtes plus impérialiste que moi». Khrouchtchev qui aimait à gouailler éclata de rire en me pinçant… Un certain Musslimov, attaché culturel à l’ambassade soviétique de Beyrouth m’a relaté un autre brin d’humour du champion de la déstalinisation. Nasser, Abdul Salam Aref, Abdallah Sallal étaient en pouparlers avec Khrouchtchev en pleine Mer Rouge. Le chef Irakien Aref était à la recherche d’un appui financier soviétique. Le leader russe s’emporta à un certain moment en l’accusant d’exécutions sommaires de communistes, fait d’ailleurs exact, dans les rues de Bagdad. Aref malhabile répliqua: «Puisque nous sommes au pouvoir, nous constituons donc l’élite». Khrouchtchev répondit aussitôt: «Un proverbe d’Ouzbekistan cite: «Dans l’eau l’or plonge et les déchets flottent». Nasser pour sauver la situation se mit à rire, imité par les autres négosiateurs.
Aux Etats-Unis, j’ai rencontré le président Johnson par l’intermédiaire d’un diplomate et j’assistai à la décoration de G.I. de retour du Vietnam en présence des vétérans de la guerre. Seuls civils présents: le président Johnson, Mac Namara, ministre de la Défense et moi-même». Le journaliste est l‘organe des sens du public. La devise de Menassa. Pour réussir une carrière journalistique, il faut la présence d’esprit, l’impétuosité et l’amour du métier. Il est essentiel d’être présent lors de l’Evénement, de l’assimiler et de le rapporter fidèlement dans toute son envergure. Là réside la grandeur du métier. Menassa est d’abord un homme d’information. La télévision continue de le tenter, avoue-t-il. Lui si féru d’histoire nous promet une émission politique et historique à la dimension de ses rêves.
CURRICULUM VITAE. Né le 14 février 1936 à Beyrouth.
Études secondaires au Collège Notre Dame de Jamhour.
Études de Droit à l’Université Saint-Joseph, à Beyrouth.
1957/1959: Rédacteur au journal «L’Orient».
1960/1970: Directeur des journaux télévisés arabes, français,
anglais, à la Compagnie Libanaise de Télévision.
1960/1967: Fondateur et Directeur du Centre National du Cinéma au Ministère de l’Information.
1967/1971: Directeur des programmes de Radio-Liban.
1970/1972: Correspondant de la chaîne de télévision américaine A.B.C.
1971/1973: Directeur de Média Press, régisseur des journaux «L’Orient-Le Jour» et An-Nahar.
1967/1976: Correspondant de Radio Monte Carlo.
1974/1980: Vice-président de L‘International Advertising Association, chapitre Liban.
1980/1983: Président de de L‘International Advertising Association, chapitre Liban.
1970/1986: Chargé de cours à la Faculté d’Information
et de Documentation de l’Université Libanaise.
1978/1983: Producteur d’un programme politique hebdomadaire à la Télévision Libanaise, intitulé «Cette semnaine». Depuis 1973: Directeur de «L’Orient-Le jour».
Depuis 1973: Correspondant du journal «La Suisse».
Depuis 1981: Président Directeur-Général des «Editions L’Orient-Le Jour».
Depuis 1981: Chargé de cours à la Faculté de Gestion et de Management, à la Faculté des Lettres et
des Sciences Humaines de «L’Université Saint-Joseph».
Depuis 1983: Vice-Président de l’International Advertising Association, Chapitre Liban.
Conseiller auprès du Syndicat des Rédacteurs.
Membre du Syndicat de la Presse.