Prestige N 192-193, Juillet-Août 2009
«Je n’aime pas m’interdire mes élans artistiques, je suis très polyvalente, ouverte et fantaisiste.»
Epouse d’Olivier Lapidus, la jolie Yara à la voix suave, vient de sortir un album éponyme au style pop et variétés, avec de légères influences orientales très raffinées. Dans son appartement parisien décoré de somptueuses sculptures créées par son père l’architecte et sculpteur Robert Wakim, nous avons rencontré Yara, femme-enfant d’une belle créativité et d’une grande sagesse.
© Emanuele Scorcelletti – Agence Gamma
«Je trouve que l’écriture est un excellent moyen de sortir tout ce tremplin d’amour et de passion qui est en nous.»
Yara, vous avez aussi une formation de styliste, comment vous est venue la passion du chant? Je suis styliste de formation. La musique a toujours fait partie de ma vie dans le sens où j’ai commencé la guitare à l’âge de 6 ans. Ma mère, en plus d’être peintre, est guitariste. J’ai fait ensuite 10 ans de piano, puis j’ai arrêté tous les instruments. Dès mon arrivée à Paris pour poursuivre une carrière de stylisme, je me suis en secret inscrite à des cours de chant. J’avais donc la passion avouée du stylisme et la passion inavouée de la musique et de la scène. J’ai adhéré à tous les cours de théâtre possibles et imaginables. Au Liban, j’ai eu la chance de suivre le cours de Kamal Salamé, puis à Paris, le cours Florent, et l’Actor Studio, sans aucune intention d’être un jour actrice, mais je me disais que cela me servirait… Je n’aime pas m’interdire mes élans artistiques, je suis très polyvalente, ouverte et fantaisiste, j’ai ce petit grain, cette fibre artistique. Souvent il m’arrive de travailler en short dans mon bureau qui se trouve chez moi… En France on a tendance à sectoriser beaucoup, à rester dans un seul et unique domaine, si vous êtes styliste, vous le restez toute votre vie, c’est-à-dire qu’il ne faut surtout pas être doué pour autre chose. Aux Etats-Unis, ce n’est pas du tout pareil: vous pouvez vous inscrire en même temps à un cours de chant, à un cours de danse et à un cours d’expression corporelle, c’est tout à fait un autre état d’esprit auquel je me sens de plus en plus proche.
Dans quelle circonstance avez-vous rencontré votre mari Olivier Lapidus? Quand j’ai rencontré l’homme de ma vie, Olivier, j’étais en stage professionnel. Olivier était directeur artistique de la maison Ted Lapidus. Avant cette rencontre, j’avais suivi plusieurs autres stages, notamment chez Dior, Balmain…
Quel style aviez-vous adopté pour vos créations en tant que styliste? En matière de stylisme, j’ai débuté par des robes. Je créais une trentaine de pièces pour chaque collection. Des petites robes du jour et des petites robes du soir mais pas de robes haute couture, plutôt des robes du soir prêt-à-porter assez chic. C’était le concept que j’avais choisi. Plus tard je me suis tournée vers une collection de jeans édition limitée après un voyage en Chine où j’avais notamment découvert un concept génial avec des broderies en soie. Après cette collection, j’ai fait des jeans bijoux puis je suis passée à la musique.
Pourquoi avez-vous choisi de reprendre la chanson «Salma ya salama» dans votre album, c’est une chanson qui a pourtant été chantée par un nombre infini d’interprètes? Enfant, le premier voyage que j’ai fait, c’était en Egypte. J’avais quatre ans à l’époque. Mon père dirigeait et était l’un des fondateurs de Dar Al Handasa. Pendant les deux années où j’ai vécu au Caire, dans cette ville magnifique, j’ai découvert la fameuse Dalida via ses chansons, je l’ai aperçue dans des films en noir et blanc, dans des photos et cela est resté dans ma mémoire, comme sur un disque dur. J’ai découvert la douceur de cette femme très sexy mais jamais vulgaire. Au-delà du personnage, au-delà de l’artiste, j’aimais l’être qu’elle était, sa fragilité et sa sensibilité. J’ai eu la chance de lire sa biographie qui m’a touchée énormément. Je compatis avec elle, je comprends ses souffrances. D’autre part, j’apprécie beaucoup la langue égyptienne. On peut encore trouver chez mes parents des enregistrements de ma voix parlant l’égyptien on ne peut plus couramment et sans accent. Salma ya salama est un tube qui a été repris des centaines de fois dans le monde par de nombreux chanteurs plus ou moins connus. En reprenant cette chanson, je me suis lancé un défi: celui de faire quelque chose de nouveau, encore et encore. Et je pense avoir réussi. J’ai présenté la maquette et tout le monde a adoré ma reprise. C’était un véritable petit challenge…
© Emanuele Scorcelletti – Agence Gamma
Belle photo de Yara sur la corniche à Beyrouth à l’heure d’un sublime coucher de soleil.
Quelle place occupe l’écriture dans votre parcours? Il y a cinq ans, j’ai décidé de me consacrer entièrement à cet univers qui me passionne: l’écriture. En fait, je n’ai fait que cela après la présentation de ma dernière collection de jeans. J’ai écrit moi-même mes chansons et j’ai cherché des compositeurs. Je trouve que l’écriture est un excellent moyen de sortir tout ce qu’on a à l’intérieur de soi, en particulier tout ce tremplin d’amour et de passion qui est en nous.
Une des chansons de votre album s’intitule «Le cèdre». Vous y évoquez les fruits et les grenades du Liban. Y voyez-vous une allusion au célèbre «Cantique des Cantiques»? Il n’y a pas à vrai dire un rapport direct et étroit avec le texte du Cantique des Cantiques, mais si vous le dites, pourquoi ne pas le remarquer et le souligner… Le Liban est une vraie partie de moi, un peu comme ma colonne vertébrale. Le Liban c’est un peu mon père et la France ma mère. Je vois en fait ces deux pays comme deux parents bienveillants. D’ailleurs, j’ai tenu à ce que les images de couverture de l’album soient faites au Liban. J’ai aussi tenu à ce que le style de musique que j’ai développé soit une sorte de pont entre l’Occident et l’Orient, comme des allers-retours constants. Tes fruits sont des grenades, ici je vois une petite allusion à la guerre, mais je suis une personne très pudique, j’aime bien aussi le second degré des choses et des mots, je ne voulais pas employer des mots crus comme le mot guerre, haine ou mort. Je n’aime pas les chansons explicitement engagées… Je lis beaucoup, j’aime les métaphores, la délicatesse, la subtilité dans les paroles.
A travers le titre «Paris Plage», une des chansons de l’album, on sent que Paris vous colle à la peau… Paris est une ville qui m’a adoptée depuis une quinzaine d’années. Je peux avouer qu’à aucun moment je me suis sentie étrangère à cette ville. Ce titre est un hommage, une sorte de petit clin d’œil à cette ville que j’aime bien. Paradoxalement, je ne suis jamais allée à Paris Plage. Je vais au Liban à la plage. J’aime bien la poésie qui se dégage de ce mot composé «Paris-Plage». J’aime aussi le fait que l’espace d’un été Paris s’habille d’un vêtement de Méditerranée, cet instant d’éternité quand les gens s’allongent, s’oublient un petit peu.
Le fameux présentateur de télé et écrivain Patrick Poivre-d’Arvor a écrit une des chansons de l’album. Vous pouvez nous en dire plus au sujet de cette fructueuse collaboration? Patrick est une connaissance de longue date. Je le connais depuis environ douze ans. C’est un personnage que j’aime beaucoup. Un jour, au détour d’une conversation lors d’un déjeuner, il trouve l’idée de faire un album génial et suggère aussitôt de m’écrire une chanson. Pensant qu’il va sûrement oublier, étant débordé, j’ai mis en suspens cette proposition. Patrick me rappelle un mois plus tard. Je lui propose alors un titre de chanson qui m’inspirait de par mes petites filles et que je n’arrivais pas à développer: Mes poupées d’abord. Patrick a repris ce titre «perso» que je voulais et voilà comment la chanson Mes poupées d’abord, est née…
«Le Liban c’est un peu mon père et la France ma mère»
Que pensez-vous de la loi Hadopi contre le téléchargement qui a suscité de nombreuses réactions en France? Je pars du principe où, à partir du moment où on vous télécharge, c’est que votre musique est bonne. Aujourd’hui, qui peut sortir un disque en cinq minutes? Star Academy, Nouvelle Star ou bien les artistes qui ont fait 10 ans de carrière? Et donc pour ceux qui sortent de ce réseau de chanteurs connus, il s’avère très difficile pour eux d’émerger. Personnellement, je rame depuis cinq ans pour sortir mon album. C’est extrêmement dur aujourd’hui et je trouve qu’il y a beaucoup et de plus en plus d’abus concernant cette question. Pour ma part, j’aime avoir l’objet chez moi sur mes étagères, j’aime acheter un CD ou encore feuilleter un livret, je suis passionnée d’opéra, je feuillette beaucoup et inscris souvent des annotations. D’autre part, il peut m’arriver de télécharger légalement certains titres sur itunes mais ce n’est pas ce que je préfère… Donc d’une certaine façon, vive le téléchargement légal, mais je trouve que les artistes disparaîtront si cela continue…
Vous préférez chanter dans quelle langue? J’adore chanter en arabe, ma langue maternelle. On me dit que c’est beaucoup plus touchant et beaucoup plus profond.
Qu’est-ce qui vous épanouit aujourd’hui, Yara? Ma vie de femme, mon amoureux Olivier, mes filles, mes parents, la famille, les rapports que je tisse avec les êtres humains, tout ce qui a rapport avec les êtres. Je ne m’attache pas au matériel. Je ne porte pas de bague, ni de montre, je m’attache aux êtres, pas aux choses. Ce qui m’épanouit aujourd’hui, c’est d’aimer et d’être aimée. Ce qui ne m’épanouit pas, c’est par dessus tout, la méchanceté et l’indifférence.
Votre CD célèbre l’amour. Un amour à «haute dose»… Yara, vous avez un tempérament passionnel au quotidien? Même si mes textes et mes chansons ne sont pas toutes autobiographiques, ils incluent des morceaux de moi… Je bouillonne de l’intérieur et cela ne se remarque pas toujours. Je ne suis pas du genre nerveuse, je n’ai pas tendance à m’emporter, à crier… Mais oui! Je suis une femme passionnée, excessive et je l’assume très bien.
© Emanuele Scorcelletti – Agence Gamma
«Mon souhait est de venir chanter au Liban avec mon équipe.»
Avez-vous un petit conseil à donner aux jeunes qui aimeraient se lancer dans le milieu musical? Je pense que ce serait prétentieux de ma part de donner des conseils car moi-même je débute, je suis en train d’arriver à petits pas… Disons que je conseillerais la patience et la persévérance. D’autre part, je suis la personne qui s’acharne au travail, je n’aime pas beaucoup les choses qui me tombent dessus. Je n’ai aucune garantie que cet album sera un succès, mais, une chose est sûre, c’est que j’y ai mis toute ma force et toute mon âme.
Quelle est votre philosophie? Tenir… C’est difficile à dire mais il faut toujours garder un petit brin d’espoir avec une petite lumière au bout et cela malgré les déceptions que l’on peut rencontrer dans la vie et qui peuvent nous décourager parfois. Autre chose aussi: chercher vraiment qui sont les êtres avant de les critiquer ou de les «fracasser» gratuitement et sans raison. On peut parfois avoir une image préconçue ou erronée de quelqu’un, je trouve cela regrettable.
Un projet à venir? Venir avec mon équipe chanter au Liban, ma terre patrie. Le disque est sorti à Beyrouth chez Virgin. Chanter le Liban est une décision que j’ai prise et dans chacun de mes futurs albums, il y aura toujours un petit ou un grand hommage au Liban. Propos recueillis à Paris par Diana Kahil