CHARLES HELOU

Prestige N 29, Octobre 1995

UN PRESIDENT SE SOUVIENT

«Je ne reproche rien à notre société. Chez nous, il y a de tout, un esprit délié et une propension au commerce héritée de nos premiers parents qui suivaient le chemin des astres».

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© Prestige

Des photos, des souvenirs…et des livres tapissent le bureau du plus francophone des Libanais.

Quelques vers de Verlaine et les souvenirs affluent, doux, beaux, nostalgiques. Sur la terrasse donnant sur la mer, sous la pergola aménagée dans un jardin vert, à la bibliothèque, très simplement dans un salon style mi-oriental mi-européen, le président Charles Hélou parle. De poésie, de son enfance, de sa jeunesse, de ses jours auprès de Nina. De francophonie, de société et assaisonne le tout d’un peu de politique. Le président Hélou se conjugue certainement au futur. Mais le passé reste là, vêtu de sa gloire et renvoie telles quelles ses images brillantes, vraies.

ÉLÈVE DES JÉSUITES, il connaît l’arabe mais le français le met plus à l’aise. En 1920, cette langue faisait la loi. A la maison aussi, on parle et on lit en français. Sa mère, veuve à trente ans avec cinq enfants, veille bien à cela. Charles Hélou lit Léonville, il s’en rappelle bien mais garde un souvenir encore plus marquant: un jour, ses frères et lui doivent quitter la maison et aller loger chez des cousins. Ils apprennent plus tard que leur père est

mort. Dès lors, l’influence de leur mère n’en devient que plus forte. Quant à la francophonie, il ne voit pas qu’elle souffre aujourd’hui autant qu’on le prétend. Quoique l’anglais exerce quelques discrètes poussées, l’enseignement au Liban reste à 80% en français.

C’est peut-être ce penchant pour la francophonie qui l’a rendu particulièrement sensible à la poésie française. Ne se surprend-il pas chaque matin à citer quelque poète? Il garde en mémoire des centaines voire des milliers de vers de tous les siècles.

ÂME D‘ESTHÈTE. «On disait à l’école que seul Corneille est un auteur de chefs-d’œuvre.» Ce n’est qu’à 20 ans, dans un lit d’hôpital que Charles Hélou découvre Andromaque de Racine. Découverte précieuse, inattendue. «Andromaque est une pièce merveilleuse, Racine un maître des

plus grands.» Le président n’aime pas les grands poètes. Ceux qui se font honneur des prix. Il apprécie les prix décernés aux romanciers par exemple. «Amine Maalouf a bien mérité le Goncourt mais moins pour Le rocher de Tanios que pour d’autres livres comme Les croisades vues par lesArabes.»

Il s’oppose aux «nobélistes» en poésie et leur préfère d’autres inconnus, souvent, à son avis, méconnus. Il aime, entre autres, Marie-Noël, Germaine Beaumont et la comtesse de Noailles dont il cite quelques vers: «Je n’entends que les voix que ton oreille écoute. Je ne réciterai que les chants que tu sais», et d’autres de Pierre Benoît: «Je ne sais s’il me faut te chérir davantage, Dans tes égarements au milieu du bonheur». Mais c’est surtout les vers de Rosemonde Gérard qui réveillent en lui les souvenirs les plus chers. «Car je t’aime, vois-tu, chaque jour davantage.

Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain.» Ces vers tirés d’un poème que Camille Chamoun récitait par cœur lui rappellent Nina et les dialogues poétiques qu’ils entretenaient. «Nina était plus réfléchie que moi et saisissait les choses plus vite dit-il, elle était admirable, le génie du foyer, et avait des réponses à tout.»

Sa devise? «La femme doit, s’il le faut, souffrir avec l’homme.» Nina Hélou ne manquait pas d’humour. Vers la fin de sa vie, il lui disait: «Tu sais, je t’aime.» Et elle de répondre ex abrupto: «Tu en es bien capable!»

HOMME DE PLUME... ET DE DROIT. Avant d’ «exercer» dans la politique, Charles Hélou était journaliste et avocat. Un jour,  on vient lui faire part que l’avocat Nina Trad estimait qu’il avait une belle plume et qu’il écrivait fort bien …

Elle dit qu’elle le préférait à Georges Naccache, polémiste de toute première valeur qui devançait la plupart des journalistes français. Il voulut alors rencontrer cette femme. Ils eurent ensemble un entretien, puis un autre, ensuite un autre … ici et là, le plus souvent au palais de Justice. En 1940, les Libanais comparaissaient devant le tribunal militaire français et Nina était entraînée à ce genre de procès. Elle et Charles Hélou préparaient leurs dossiers ensemble. Plaidaient ensemble. Le travail était pour eux un plaisir.

Ils faisaient aussi des promenades à pied. Tout les intéressait. Mariés, ils allaient du côté de la Grotte aux Pigeons. Nina se souviendra longtemps du vent qui faisait battre et claquer la cravate de Charles.

ENTRE BAABDA ET BEITEDDINE. A l’ époque du mandat de Charles Hélou, Nina veut rendre les choses faciles. Baabda est en chantier, le palais de Beiteddine rénové. Elle y aménage une salle du Conseil des ministres. Y ajoute un second étage. C’est à Baabda ou Beiteddine que Charles et Nina reçoivent les grandes personnalités, entre autres, Léopold Senghor et son épouse, le chef d’Etat libyen Kaddhafi, l’empereur d’Ethiopie Haïlé Sélassié et Baudouin, le roi des Belges. Pour recevoir ce dernier, le président dut se conformer aux indications du chef du protocole. Il resta en haut de l’escalier alors que des soldats en uniforme montaient la garde sur les marches. Le roi arrivé, il monta saluer le président avec courtoisie. Le surlendemain, ce dernier lui rendit visite à l’ambassade de Belgique. Une fois le président Hélou arrivé dans le jardin de l’ambassade, le roi descend en personne pour l’accueillir. Il refuse de le recevoir du haut des marches.

Noblesse exige et… une leçon de plus.

Charles Helou

© Archives Président Charles Hélou

Haie d’honneur pour sa visite au président français le général Charles de Gaulle.

NINA AU CONSEIL MUNICIPAL Nina est désignée membre du Conseil Municipal. Avec elle, la nièce de Saëb Salam. La Présidente a l’ambition de réaliser plusieurs projets, imagine fleurir toutes les rues de Beyrouth; le Conseil est réticent de peur que les fleurs ne soient arrachées. Pas du tout. Les Beyrouthins en raffolent et les protègent.

Puis le Président me parle de société. «Chez nous, il y a de tout, mais essentiellement un esprit très délié et une propension au commerce que nous avons héritée de nos premiers parents. Nos premiers parents qui s’orientaient grâce aux étoiles et suivaient le chemin des astres.»

Il ne reproche rien à la société. «Outre le sens du commerce nous possédons l’intelligence et l’esprit. Nous avons contribué avec les Arabes à l’évolution de la plupart des sciences et chez nous, les artisans de l’esprit sont illustres.» Il cite Néaïmé et Gibran. Saïd Akl est pour lui un grand poète à l’imagination débordante. «Malheureusement nous ne sommes pas souvent sur la même longueur d’ondes: il voulait être président de la République quoiqu’il ait été préparé pour d’autres vocations.»

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© Archives Président Charles Hélou

Deux visions du Moyen-Orient, deux présidents: Charles Hélou et Gamal Abdel Nasser.

PRESSE. LE TORT OU LA RAISON. Pour ce qui est de la presse, il retient une seule parole: «La presse c’est l’habitude de déraisonner jointe au besoin de nuire». Les gens de presse qu’il affectionne se soucient d’intéresser leurs lecteurs et ne reçoivent, ni ne transmettent les nouvelles telles que les rumeurs les ont répandues. Enfin, ils corrigent le tout par un excellent style.

On a raison ou tort selon la qualité du langage et du style. Un langage de polémiste doit aider un journaliste à réussir. Et être polémiste c’est en définitive avoir peu de justice et trop d’imagination.

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© Archives Président Charles Hélou

Visite à Rome. Photo officielle de l’audience privée accordée par sa Sainteté le Pape Paul VI à la Cité du Vatican. Aux côtés du président Charles Hélou, sa femme Nina.

PORTRAIT DU FUTUR PRÉSIDENT DU LIBAN. Du prochain président, Charles Hélou ne demande pas grand-chose: l’élu ira se parader devant les gens de son quartier, dominer l’épicier et le coiffeur et donner à tous l’impression de faire tourner la terre. D’après lui, le président Elias Hraoui a fait ce qu’il a pu. «Il possède l’intelligence, la prévoyance, il cumule énormément de qualités, mais il faut savoir que ni lui ni un autre n’auraient pu mieux faire.»

LES JOURNÉES D’UN PRÉSIDENT. Les activités du président Charles Hélou sont actuellement très réduites. La porte de sa demeure reste grande ouverte. Et les visiteurs qu’il reçoit viennent pour la plupart en quête d’une faveur. Affaibli, il ne peut plus monter les escaliers et sa santé lui permet difficilement de faire de la marche à pied.

Mais ce grand homme reste modeste et charitable à son habitude. Il n’oublie pas de tendre la main aux personnes du troisième âge. Et il ne peut qu’assister les nécessiteux, s’enquérir de leur bien-être. Bon nombre de ses amis sont disparus comme Michel Chiha, Béchara el Khoury et l’imam Moussa el Sadr. L’amitié avec ce dernier est peut-être un héritage commun partagé avec Nabih Berri. Il entretient encore quelques amitiés au Liban, Michel Khoury, Ghassan Tuéni, Michel Kazan …

Dans le rang de ses amitiés internationales, des personnalités telles Léopold Senghor, ex-président de la république du Sénégal, Georges Pompidou, Jacques Chirac qui lui envoya récemment une lettre très flatteuse. Il est midi. Le président est las.

Il faut mettre fin à notre entretien. Il nous restait tant à savoir, avouons-le. Impossible de contracter une vie, et quelle vie, en quelques lignes. Un bouquet de souvenirs, quelques idées, des répliques, avec le sourire, parfois le rire et voilà!

L’interview est bouclée. Et la séduction? Ni l’âge, ni la maladie n’empêchent le Président de la peaufiner au fil du temps.

Propos recueillis par GHADA SCHREIM

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