Prestige N 287-288, Déc. 2017-Jan. 2018
«La couture est ma passion»
Rima Bohsali, la talentueuse styliste libanaise, très réputée dans les années 90, a décidé de faire son retour sur la scène de la mode à travers sa participation à l’événement Designers & Brands Fashion Shows. Prestige l’a rencontrée afin d’en savoir plus sur son comeback.
Peut-on dire que vous êtes née avec une aiguille dans la main? Le premier jouet que j’ai réclamé à mes parents était une poupée à la tête et aux bras amovibles, ensuite une machine à coudre et un nécessaire de couture que je garde jusqu’aujourd’hui. Ma mère me prêtait les ciseaux qui ne me faisaient pas peur, j’avais mon propre coin dans la maison. A 3 ans elle m’apportait des tissus que je cousais, et plus tard à 8 ans je l’ai accompagnée chez Mme Silva qui avait un atelier à Beyrouth et donnait des cours sur l’art de la couture.
Racontez-nous un peu votre background. Je viens d’une famille beyrouthine bourgeoise. J’ai étudié au Collège Protestant et me suis mariée à 16 ans. J’ai donné naissance à mon fils Ahmad à l’âge de 17 ans. Lorsqu’il a pris le chemin de l’école, j’ai remis le costume et suis retournée à l’école officielle Fakhreddine. Je n’ai hélas pas pu faire d’études universitaires pendant la guerre civile. Mon divorce à l’âge de 24 ans m’a contrainte à retourner vivre avec mes parents. A l’époque la guerre battait son plein, j’ai créé un atelier de tricot dans la maison que mes parents m’avaient donnée comme cadeau de mariage. Je fournissais aux dames des crochets et de la laine et leur apprenais à tricoter. Mes débuts dans le tricot m’ont encouragée à aller plus loin. J’ai entendu parler d’une école de mode à Paris. Grâce au soutien de mes parents, je m’y inscris et suis des cours. Diplôme en main je suis rentrée au pays où à l’époque, les couturiers étaient nombreux mais les stylistes n’existaient quasiment pas, il y avait donc beaucoup d’enthousiasme pour ce domaine. J’ai commencé à coudre des robes pour mes amies, et de bouche à oreille le cercle s’est agrandi. Je me rappelle de Viviane Debbas, de Hassana Mansour, de Wadad Jabbour dont la belle-fille Zeina m’a commandé une veste brodée pour ses fiançailles. J’ai voulu lui réaliser un design nouveau et exceptionnel sur le thème des maisons libanaises. Mon frère Rached Bohsali, architecte, qui préparait une exposition sur ce thème dans un style surréaliste, m’a permis de lui emprunter l’idée, ce fut un énorme succès. Nazek Hariri m’a commandé pour les fiançailles de sa fille Joumana, une veste brodée sur le thème des monuments historiques libanais. Je me suis liée d’amitié avec la famille Hariri et ils sont devenus mes principaux clients. J’ai eu la chance de connaître de grandes familles libanaises et mon travail a pris son envol.
Pourquoi votre récent comeback? C’est grâce à mon fils Ahmad, analyste financier en Arabie saoudite qui a décidé de rentrer au pays et m’a encouragée à reprendre aiguilles et ciseaux. J’ai toujours aimé travailler dans les coulisses, j’aime l’art pour l’art. Je me remémore les années où je faisais la couture à plein temps. Au décès du Premier ministre Rafic Hariri, j’ai arrêté la couture pour me consacrer au prêt-à-porter. Il y a deux ans, suite à une maladie, j’ai dû arrêter le travail. La couture étant ma passion, mon fils m’a conseillée de faire un retour en force.
Pourquoi n’avez-vous pas créé votre marque avant? Dans les années 90, je travaillais pour le plaisir et n’envisageais pas mon travail comme une entreprise à grande échelle. Les 30 dernières années de ma vie se sont écoulées rapidement. Je travaillais sans accorder au marketing l’importance qu’il fallait. La jeune génération de 25 ou 30 ans ne me connaît pas. Dès son retour, mon fils Ahmad m’a éclairée sur le fait que les designers qui ont démarré bien après moi sont beaucoup plus connus, «alors que tu as un important background, un cheminement artistique, il faut absolument faire ton comeback sous les feux des projecteurs.» J’ai participé à l’événement Designers & Brands Fashion Shows organisé par Johnny Fadlallah et fait un défilé sous le thème «Timeless, intemporel», réalisant des vêtements aux couleurs éclectiques, pour me positionner auprès du public qui ne me connaît pas et me rappeler au souvenir de ceux qui me connaissaient. Propos recueillis par Marcelle Nadim