Prestige N 289, Fév. 2018
A bâtons rompus avec
le ministre de l’Information Melhem Riachy
Melhem Riachy est un ministre un peu à part, au sein du gouvernement Hariri. Non seulement parce qu’il est le représentant du Dr Samir Geagea mais peut-être et surtout parce qu’il est l’un des artisans de cet accord historique interchrétien, qui a mis fin à trente années de déchirement et a permis l’élection du président de la République, le général Michel Aoun. De plus, Melhem Riachy est un homme du sérail, celui du journalisme entendons-nous. Il connaît la profession pour l’avoir pratiquée, ses dessus et ses dessous, de même que ses nombreux avatars. Avenant, de nature agréable et accessible, ce natif de Khenchara, le fief des Grecs-Catholiques, niché dans les entrailles du Metn, est un interlocuteur persuasif et convaincant, il va droit au but sans s’embarrasser de circonlocutions. A l’image de la localité verdoyante de laquelle il puise ses racines, Melhem Riachy est un homme du terroir, fier de ses origines. Je l’ai rencontré à Riyad au cours d’une visite officielle. Mais il était aussi dans son élément au sein de la communauté libanaise, avec qui il a pris le temps de se réunir et de discuter sans langue de bois. J’ai noté qu’il est très populaire surtout parmi les jeunes et ferait sans doute un excellent élu. Mais sur ce point, il se montre plutôt discret, comme il préserve jalousement sa vie privée et refuse de parler de son récent mariage. Pudique Monsieur le ministre? Bien sûr et prudent, préférant ne rien dévoiler de ses ambitions politiques, se cantonnant dans le rôle du soldat qui obéit au commandement du parti, en l’occurrence les Forces Libanaises. En ce qui concerne son ministère, même s’il est animé de grandes ambitions, il est pleinement conscient que la bureaucratie en est le frein. Portrait d’un homme pragmatique.
Quels sont les projets que vous avez accomplis après plusieurs mois à la tête du ministère? Si les réalisations que nous cherchons toujours à actualiser avec toute notre volonté et notre effort étaient à la hauteur des ambitions et des attentes, nous aurions connu une évolution. Mais vu la bureaucratie et la routine administrative, ce qui a été réalisé jusqu’à présent, malgré les circonstances politiques quelquefois peu favorables, peut être considéré comme un pas fait dans la bonne direction. La mise en place du nouveau cadre organisationnel du ministère du Dialogue et de la Communication qui remplacera le ministère de l’Information étant la réalisation la plus importante. Nous avons déposé la requête au Conseil de Service civil afin qu’elle soit examinée et acceptée en vue de la transférer ultérieurement au Conseil des ministres et puis au Parlement qui légifèrera dans ce sens. Ensuite nous avons accompli en collaboration avec l’Ordre des rédacteurs, une importante réalisation concernant les journalistes appartenant à cette institution ou qui en feront partie à l’avenir. Nous avons donné à tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’Information écrite, télévisuelle, rediffusée ou électronique, la possibilité de faire partie de ce syndicat qui regroupera tous les journalistes, y compris les propriétaires de journaux. La dernière réalisation concerne l’évolution du travail dans les directions rattachées au ministère, comme l’Agence nationale de l’Information, Radio Liban et le Centre de recherches, de façon à ce que le travail de ces directions puisse accompagner celui du ministère du Dialogue et de la Communication.
Etant vous-même issu de cette profession, que pensez-vous de la situation actuelle des médias libanais? De quoi souffrent-ils? L’information étant le miroir de la société, réflecteur de sa réalité avec tous ses avantages et ses inconvénients, nous ne pouvons pas dire que le volet commercial et productif vit son meilleur moment, sachant que le journalisme libanais en tant que mission est à son apogée. Il est parfaitement conscient de son rôle durant cette période même si plus d’objectivité et de transparence, de recherche de la vérité sont exigés comme fondement essentiel de son activité. Il est vrai que le journalisme en général traverse une étape financière difficile dans le domaine audiovisuel suite à l’affaiblissement du marché de la publicité et au recul du taux des publicités que les multinationales réservent au Liban. Toutefois, c’est la presse écrite qui souffre le plus, nous voyons de grands et respectables journaux cesser de paraître ou en voie de fermeture pour se diriger vers l’information numérique.
«Le journalisme libanais en tant que mission est à son apogée. Il est pleinement conscient de son importance.»
Estimez-vous que ce soit la fin des journaux écrits? Seront-ils définitivement remplacés par les réseaux sociaux? Malgré la crise que les journaux traversent et l’affaiblissement relatif de leur popularité, bon nombre de lecteurs aiment encore lire le papier. Ils ont forgé une relation avec l’encre depuis des années. Je considère que les journaux gardent leur succès et rivalisent avec l’Internet, à condition de véhiculer une information qui ne se contente pas de transmettre uniquement la nouvelle mais de l’analyser et de la commenter pour devenir une information qui dirige les consciences.
Quelles sont les limites de la liberté de presse? Comment l’assurer et la garantir? En principe il n’y a pas de limites à la liberté de la presse. Dans le cadre évidemment des lois, du respect de l’opinion d’autrui, et de tout ce qui menace la stabilité publique et la paix civile. Hormis cela, je suis avec la liberté absolue et totale du journaliste, quel que soit le moyen d’expression utilisé, y compris les blogs. Le Liban est par excellence le pays des libertés, sinon sa présence dans cette partie du monde n’aurait plus de sens. Par ailleurs, j’ai présenté au Conseil des ministres un projet de loi concernant l’éthique de la profession, une loi qui serait une garantie pour protéger la liberté de la presse ainsi que les journalistes des politiques discrétionnaires et idéologiques. En même temps, cette loi protègera le journaliste de ses propres débordements, qui pourraient nuire à sa réputation et à celle de la presse en général. En outre, la loi sur les publications statue sur les plaintes déposées contre les journalistes par des tiers qui se sentent outragés par une nouvelle ou par un commentaire publié.
Le ministre Melhem Riachy avec Solange Khoury: Unis pour la vie.
Pensez-vous qu’à l’heure actuelle, cette liberté dont s’est toujours enorgueilli le Liban, se trouve menacée? Je ne crois pas que la liberté de presse puisse être menacée au Liban. Certains ont essayé par le passé de contrôler la presse et n’ont pas réussi, et leurs tentatives ont été vouées à l’échec. Cela prouve que la presse au Liban est suffisamment armée pour faire face à toute tentative destinée à la domestiquer. Je suis confiant car les journalistes sont responsables et conscients. Ils savent traiter les événements de manière à assurer leur bien-être et celui de la profession.
Vous êtes l’un des principaux artisans de la réconciliation interchrétienne. Etes-vous pleinement convaincu que cette alliance est faite pour durer? Personne ne réalise l’importance de cette réconciliation historique entre les Forces Libanaises et le Courant Patriotique Libre autant que celui qui a vécu le drame des relations tendues entre leurs bases durant plusieurs années et leurs répercussions négatives au sein de chaque formation. Nous avons travaillé des heures avec le député Ibrahim Kanaan sur les menus détails pour aboutir à cet accord dans sa version actuelle. Il a été élaboré en vue de durer, étant basé sur des convictions et non sur des intérêts, comme c’est le cas aujourd’hui, de la part de certains qui ne voient dans cette réconciliation qu’un moyen pour réaliser leurs buts et souhaits. Et malgré l’ambiance tendue je crois toujours que cette réconciliation est une importante réalisation dans l’histoire des relations interchrétiennes.
Que vous a appris et donné le pouvoir? Le pouvoir m’a appris beaucoup de choses, dont la plus importante est le fait de rester Melhem Riachy sans titre, parce que les gens m’ont aimé ainsi et je les aime tout simplement. Souvent le pouvoir nous éloigne de ceux qu’on aime.
Quelle est votre ambition politique? Je ne décide pas personnellement de mon ambition politique, elle dépend du parti auquel j’appartiens. J’aime rester moi-même, mais ceux que j’aime m’incitent à réaliser mon ambition politique. J’espère pouvoir réaliser des choses pour mon entourage à travers la position politique à laquelle je serai affecté par le commandement de mon parti.
«Les journaux peuvent rivaliser avec l’Internet dans la mesure où ils ne se contentent pas seulement de véhiculer les nouvelles, mais aussi de les analyser.»
Il y a quelques semaines le Liban a frôlé une grave crise politique, quelles conséquences doit-on tirer? Nous avons dépassé cette phase avec le moins de dégâts possible et nous en sommes sortis en consolidant notre unité nationale, qui reste la seule garantie pour l’avenir. L’important est de savoir profiter de nos erreurs et de ne pas revenir en arrière, ciblant plus de productivité pour tendre vers une stabilité intérieure à l’abri des guerres qui nous entourent. La distanciation requiert des mesures opérationnelles pour prouver réellement au monde que les Libanais, sans exception ne s’ingéreront pas dans les affaires internes de n’importe quel pays arabe.
Pensez-vous que le Liban est désormais définitivement à l’abri des conflits régionaux? Si la politique de distanciation est réellement appliquée, je pense que le Liban est capable de contrer tous les dangers, et restera à distance des conflits régionaux et de leurs répercussions négatives sur la situation intérieure de notre pays. Nous pourrons alors, nous atteler sérieusement au travail pour consolider notre situation économique qui est sur le point de s’écrouler. Propos recueillis par SABINE FARRA DE CERDA
Bio – Express
- Melhem Antoun Riachy est originaire de Khenchara du Metn-Nord. Il est le benjamin d’une famille de quatre enfants, deux garçons et deux filles. Il est marié avec Solange Khoury, metteur en scène à la chaîne ANB.
- Ecrivain, journaliste et chercheur spécialiste des affaires du Moyen-Orient et des religions comparées. Il a à son actif plusieurs études dans ce domaine.
- Il est consultant en Affaires politiques et stratégie de négociations, et professeur en communication géostatique à l’USEK.
- Directeur du département de communication au sein du parti des Forces Libanaises depuis février 2012.
- Désigné par le leader des FL comme envoyé spécial auprès du président Michel Aoun, il a réussi, en coopération avec le député Ibrahim Kanaan du CPL, l’accord historique qui a été signé par les deux chefs chrétiens le 2 juin 2015, et connu sous l’appellation: La Déclaration d’intentions entre le CPL et les FL, lequel a mis fin à trente ans de conflits.
- Militant social, le fringant ministre est président d’une antenne Caritas du Metn. Il a aussi maintes publications et ouvrages, édités à Dar An-Nahar et par la maison d’édition française Harmattan, notamment: Judas Iscariot le traitre innocent (1995), Les élections de 2000 (2000), Le puits (2003), Le gardien de la tombe (2007), Le livre des reproches (2016)…