Les personnages instables, parfois méchants, Natasha Choufani les incarne à merveille. Tel son rôle de Dolly dans Khtarab el Hay, qui l’a révélée au grand public. Jeune et talentueuse, l’actrice compose également des poèmes et milite en faveur de la femme. Interview.
1- Vous êtes une artiste multidisciplinaire, quelle forme d’art est la plus chère à votre cœur?
L’actorat. J’y étais attachée depuis mon enfance. J’adore peindre et composer des poèmes, mais je concentre toute mon énergie sur mon métier d’actrice.
2- Vous choisissez souvent d’incarner des personnages problématiques comme votre rôle dans Khtarab el Hay. Auriez-vous un côté vicieux dans votre personnalité?
Je ne choisis pas ces rôles. Ils me sont proposés. Quand on voit au Liban une personne jouer un certain type de rôle, elle est vite catégorisée. On me confie toujours ces rôles difficiles, parce qu’on juge que je suis capable de jouer ce genre de personnage, des personnalités composées. J’ai récemment interprété de sympathiques personnages. C’était un bon changement et j’étais satisfaite. J’ai aussi réussi à me réorienter. Nous avons tous un côté sombre dans notre personnalité, le bon côté, le mauvais côté. En tant qu’actrice, je dois me connaître moi-même, savoir quels sont mes points faibles, mes points forts et mes points sombres. Si je traverse une certaine situation, est-ce que ces aspects de ma personnalité vont se révéler? Peut-être. Nous ne savons jamais ce qui se passe lorsque nous sommes poussés dans certaines situations, en fonction de notre éducation et de plusieurs autres facteurs.
3- Dans quelle mesure votre côté obscur vous aide à incarner le caractère?
Nous avons tous ce côté obscur, personnellement je l’utilise pour éprouver de l’empathie envers mon personnage, peu importe à quel point cette femme est méchante. Je dois toujours sentir de l’empathie pour elle, pour pouvoir la représenter. Je trouve généralement un terrain d’entente avec le personnage sur lequel je me base pour donner à mon caractère sa propre personnalité, même si ce n’est pas celle que j’aimerais avoir. En tant qu’actrices, nous sommes censées savoir qui nous sommes, sinon nous ne réussirons jamais à jouer des rôles.
4- Dans Bilahza, vous étiez l’amie de Ziad Borji, croyez-vous en l’amitié entre l’homme et la femme?
Dans Bilahza, j’étais réellement amoureuse de lui. Il trouvait en moi une amie. La plupart du temps, dans les amitiés homme-femme, il y a toujours une partie plus encline à une relation qu’une autre. Je pense que c’est possible. J’ai moi-même de bons amis hommes et depuis longtemps, nous développons ce genre de relation platonique. La plupart du temps, une partie penche vers quelque chose, mais il arrive qu’une amitié existe entre un homme et une femme.
5- Quel rôle aimeriez-vous jouer à l’avenir?
J’aimerai jouer le rôle d’un personnage féminin fort, surmontant les obstacles, se battant pour elle-même, le rôle d’une femme indépendante, mais non une victime. Je pense que les rôles de victimes dans nos séries télévisées abondent. Nous devrions vraiment travailler à changer cette idée. J’ai interprété des rôles de femmes mentalement instables, de femmes déstructurées sur le plan émotionnel, démolies et qui détruisent tout. Je voudrais plutôt jouer le rôle d’une femme dirigeante, entourée de personnes qui comptent sur elle, et qui la poussent pour le mieux, ce qui est fortement lié à l’autonomisation des femmes.
6- Que pensez-vous des actrices libanaises de votre génération?
Je suis vraiment heureuse parce que ma génération comprend de nombreuses actrices, qui travaillent vraiment dur et qui font de leur mieux, créant et étudiant leurs personnages, et non pas uniquement centrées sur leur apparence. Elles concentrent également leurs efforts sur la qualité de leur travail et sur leur capacité à se surpasser. Même si certains acteurs stagnent encore, il y a une nouvelle génération d’acteurs très forts. Je parle de ceux qui font actuellement une différence dans l’industrie du spectacle, qui continueront à le faire, pour lui donner une valeur ajoutée. Je pense que ceci est vraiment important.
7- Parlez-nous de votre combat en faveur de l’autonomisation des femmes…
J’ai toujours été une militante en faveur des droits de la femme, luttant pour son autonomisation. J’ai participé à Mish Bassita, une campagne contre le harcèlement sexuel. Actuellement, je lutte sur le terrain, contre la violence sexuelle, à la base de recherches menées auprès d’un grand nombre de femmes. Mon parcours est lié au journalisme et pas seulement au métier d’actrice. Escwa m’a invitée à lire mon poème «Quand tu perds ton corps», lors de la conférence organisée dans le cadre de la journée internationale de la femme. Mon poème décrivait les conséquences de ce qu’une femme subit après avoir été victime de violence sexuelle, d’agression ou de viol. J’ai raconté leurs histoires dans le poème en donnant différents exemples sur ce qu’elle ressent. Elle a le sentiment d’avoir perdu son corps non seulement lorsqu’elle est attaquée ou violée, mais petit à petit tous les jours lorsque la société refuse de la croire et de la protéger, voire lorsqu’elle commence à la juger. Perdre le contrôle de ce qui était autrefois à vous. Personne ne réalise à quel point il est important de protéger le rétablissement de la femme qui a été violée.
8- Concrètement, comment développer les droits des femmes?
En améliorant les lois. Une loi promulguée par le passé n’a pas été complètement supprimée. Elle stipule qu’une femme violée doit épouser son violeur. La logique derrière tout cela était de dissimuler le scandale, mais personne ne prend en compte le type de traumatisme que cette femme pourrait subir en se mariant avec son violeur. Je me réfère à cette loi pour expliquer à quel point les sentiments et les émotions d’une femme sont considérés insignifiants. Notre société excelle en hypocrisie. Devant une personne réellement faible, plutôt que de le protéger, elle l’attaque davantage. Propos recueillis par Rita Saadé.