Sublime au Festival de Cannes 2019, l’actrice oscarisée Julianne Moore était en ville pour la première du court métrage «The Staggering Girl», où elle tient le rôle d’une écrivaine italo-américaine prénommée Francesca. Le réalisateur Luca Guadagnino a collaboré avec Pierpaolo Piccioli, le directeur artistique de Valentino sur ce film produit par la maison de mode française.
Julianne, pouvez-vous nous parler de «The Staggering Girl» et des émotions qu’il a suscitées en vous?
Honnêtement, je l’ai fait par pur intérêt pour le film et par pur bonheur. C’est un court métrage qui est arrivé à l’improviste, et puis j’admire le travail de Luca Guadagnino parce qu’il dégage toujours des sentiments. J’ai réalisé que mon engagement dans ce genre d’expérience sera au sujet du sentiment, de l’émotion, de la mémoire, des sujets auxquels je suis apparentée. Luca a réuni des acteurs extraordinaires.
Le film est une collaboration entre Luca Guadagnino et le créateur artistique de Valentino, Pierpaolo Piccioli. Comment cela est-il arrivé?
Incroyable, leur travail est si émotionnel, bien qu’ils travaillent dans des sphères différentes. Je pense qu’ils éveillent tant de sentiments en moi et tant d’humanité. Nous avons eu une superbe expérience ensemble.
Qu’avez-vous pensé des vêtements que vous aviez à porter?
J’étais si enthousiaste. Je me disais «Oh, je porterai du vert, de la lavande, du rouge!» Quand je suis arrivée, ils m’ont dit: «Voici ta garde-robe». Et j’étais la seule dans le film sans couleurs (rires). A cause de l’histoire qui se racontait. Je me disais «Quoi, j’ai fait tout ce trajet et je ne porterai pas de couleur lavande!» Ce qui est magnifique dans les films, c’est que c’est un média visuel. Vous avez le texte mais aussi ces couleurs, ces images, ces formes et ces vêtements sur lesquels vous comptez pour raconter l’histoire.
Le film explore la relation mère-fille. Quelle est votre idée sur la féminité?
C’est mon domaine. J’ai apprécié que ces relations entre femmes soient si centrales dans le film. J’aimais être avec Marthe (Keller), j’ai aimé cette intimité et toutes ces amitiés entre femmes dans le film. Seul un homme joue les rôles masculins. Voilà le monde dans lequel je vis. Je suis une femme avec des amitiés féminines et c’est ainsi que j’expérimente le monde.
Avez-vous des vêtements dans votre garde-robe qui font partie de votre histoire personnelle?
Je suis intriguée par le fait que nous nous sentons obligés en tant qu’êtres humains, d’agrémenter nos corps et notre intérieur. Rien ne nous oblige à faire cela. Tout peut rester tel quel. Alors cette idée que j’ai choisi de faire cela parce que ça me plaît, ou nous essayons de dire quelque chose consciemment ou inconsciemment. C’est une chose à laquelle je pense en tant qu’actrice, en tant qu’être humain, parce que je ne sais pas pourquoi je le fais, mais je le fais. J’y vais parce que cela crée une sensation en moi.
«Je suis une femme avec des amitiés féminines et c’est ainsi que je saisis le monde»
Vous rappelez-vous quand vous avez payé votre premier vêtement de mode cher?
Je me suis acheté une robe à l’âge de 17 ans. Je travaillais les week-ends comme caissière dans une petite boutique, dans une base militaire en Allemagne. J’ai économisé de l’argent, parce que j’allais à une party et ma mère ne m’autorisait pas à porter du noir. Avec cette épargne, je me suis acheté une robe noire et j’ai dit à ma mère, «Tu ne peux rien dire à ce sujet parce qu’il s’agit de mon propre argent». Ce qui est terrible et bien sûr, en tant que mère d’une fille de 17 ans. Je n’arrive pas à croire que j’ai fait cela. C’était un moment grisant pour moi lorsque j’ai dit «J’ai travaillé pendant le week-end et j’ai mon argent». Et je l’ai fait.
Vous rappelez-vous comment vous envisagiez votre vie avant de devenir actrice? Et pourquoi avez-vous décidé de devenir actrice?
Je faisais cela comme activité parascolaire. Je n’étais pas capable de faire du sport, alors j’ai opté pour l’actorat (rires). J’aimais lire. Ma meilleure occupation était d’aller à la librairie pour voir tous les livres et lire. J’aimais ce sentiment d’être au cœur d’une histoire. Lorsque j’ai commencé à jouer, je me sentais une héroïne à l’intérieur d’un bouquin. Quand j’avais dix ans, nous avons vécu un an en Alaska. Chaque semaine, j’allais au cinéma. J’ai eu l’occasion de voir «Minnie et Moskowitz», le film de Cassavetes «Un jour dans la vie d’Ivan Denisovich». Donc je pense que mes goûts cinématographiques ont pris forme bien avant mes goûts pour l’actorat. Toutefois, je pensais devenir médecin! (rires)
Vous est-il arrivé d’accepter des rôles simplement parce que vous pensiez que le cinéma pouvait influencer le public?
Il ya certainement une relation intrinsèque entre le cinéma et ma personnalité. Une histoire que j’ai envie de raconter, là où j’ai envie d’être. S’il s’agit juste de me dire «Ce rôle est bon pour vous», je pense que personne ne va au cinéma pour cette raison. Nous allons au cinéma pour vivre une expérience humaine, émotionnelle, en relation avec nous-mêmes. Je joue un rôle car je partage le point de vue du metteur en scène, car je me sens liée au thème…
Qu’est-ce qui fait un bon réalisateur?
Chaque acteur est différent, et j’admire les réalisateurs qui admettent cela. De la même manière qu’en tant qu’actrice je sais que chaque réalisateur a une technique différente et je dois comprendre le processus. Mais ce qui est excitant dans l’industrie du film, c’est le côté collectif du travail. On ne sait jamais ce qui adviendra, car à chaque fois les personnalités diffèrent. Propos recueillis par JENNY DAVIS/THE INTERVIEW PEOPLE